Les marronniers sahariens
Il vient notamment de publier, sous le titre «Algérie, un musée de sable et de pierre», un article du journaliste indépendant londonien Henry Wismayer, illustré par des photographies de Matjaž Krivic, et qui a les honneurs de la une du numéro de février 2024. Sur son fil X, Henry Wismayer semble s'en étonner en écrivant: «Il se trouve que j'ai écrit la couverture de l'édition française du National Geographic ce mois-ci. Qui l'eût cru? (Je ne le savais pas).»
À un lecteur qui lui demandait s'il avait reçu pour cela quelque rémunération, il a répondu: «En quelque sorte. Ils m'ont payé pour réaliser un article numérique sur ce sujet, puis m'ont demandé de doubler sa longueur en vue d'une éventuelle utilisation dans les éditions internationales — pour lesquelles ils m'ont payé le même tarif (numérique). J'ai demandé plus si le matériel était utilisé dans la presse écrite, et j'ai été rabroué.»
Bon. Au moins, il a été payé. Et qu'apprend-on dans son article?
Dès l'ouverture (p. 33), à propos des gravures rupestres, il affirme que «Ces pétroglyphes du Néolithique auraient été gravés grâce à des disques de pierre.» Comment ça, avec des disques de pierre? Et pourquoi pas à la disqueuse, pendant qu'on y est?
Page suivante, c'est un «chasseur-cueilleur» qui est mis en scène face à une paroi de grès, et rebelote: «un lourd disque de pierre lui tenait lieu d'outil». On se demande vraiment d'où sort une telle idiotie.
Plus loin, page 37, on découvre que les gravures sahariennes décrivent «l'évolution de la vie sur ces territoires au cours des 12000 dernières années»… alors qu'aucune œuvre du Sahara central n'a pu être réellement datée d'une époque aussi ancienne. Le texte se poursuit en répétant les thèses obsolètes de Lhote, affirmant que «les œuvres les plus énigmatiques et les plus anciennes» seraient «celles de la période bubaline, également dite des "têtes rondes"», alors qu'en réalité, personne n'a jamais soutenu que «Bubalin» et «Têtes Rondes» désigneraient la même chose, et que l'hypothèse d'une prétendue «période bubaline» a été réfutée depuis quarante ans, précisément depuis la soutenance de thèse d'Alfred Muzzolini en 1983.
En fait, tout l'article montre que son auteur a un rapport assez distancié avec l'archéologie, qui est pourtant l'intitulé de la rubrique dans laquelle paraît son texte. Il reprend en particulier (p. 40) les idées de Giorgio Samorini, qui a soutenu à la fin des années 1980 que certaines images rupestres donneraient «des indices d'une spiritualité marquée par l'ingestion de substances psychoactives comme la psylocibine». Parmi les spécialistes des images rupestres sahariennes, personne n'a jamais pris au sérieux cette affirmation, mais l'auteur n'en a cure, qui affirme en plus de cela que des «motifs fractals» orneraient «certaines gravures animales»… dommage qu'il ne dise pas lesquelles, car rien de tel ne m'est actuellement connu au Sahara.
Pour Henry Wismayer, les «représentations naturalistes du bétail» témoigneraient «du recul de la chasse et de la cueillette au profit du pastoralisme»… alors même que les peintures en style d'Ihǝren documentent à la fois le soin apporté aux troupeaux et des scènes de chasse au lion ou à l'éléphant (voir ici et là).
Tout l'article est, comme ses illustrations, la reprise d'une publication de 2023 intitulée Le parc culturel du Tassili, un trésor préhistorique trop peu connu, qui énonçait déjà les mêmes poncifs: «Plus grand musée d'art préhistorique du monde» (comme on le dit aussi de l'Australie et de l'Afrique du Sud), peintures réalisées avec «du carmin, , une couleur obtenue par un mélange de pierres broyées et de sang de vache»… alors que celui-ci est obtenu à partir des cochenilles Kermes vermilio qui parasitent le chêne, et que rien n'indique que du sang animal ait été utilisé dans la composition des pots de peinture.
C'est assez irritant de voir une fois de plus les arts rupestres sahariens servir à des publications illustrées de belles photographies, mais qui se soucient comme d'une guigne de l'état actuel du savoir archéologique.
Si le «trésor» des œuvres laissées par les Néolithiques dans la Tasili-n-Ajjer (oui, ce mot est féminin) est «trop peu connu», ce n'est sûrement pas ce genre d'article qui aidera à le faire mieux connaître aux quelque trois millions de lecteurs mensuels de l'édition française du National Geographic.
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