Les extraterrestres font du tourisme
L'article précise que le département d'archéologie et de la culture de l'État de Chhattisgarh «a déjà prévu de demander de l'aide à la NASA et l'ISRO (organisation indienne pour la recherche spatiale) afin d'étudier les peintures»... on devrait peut-être les appeler aussi pour étudier Lascaux et Chauvet?
On n'a aucune idée de l'âge réel de ces peintures, mais comme il fallait s'y attendre, les sites du genre de Mystères Ovnis ont rapidement repris ce titre, en supprimant la forme interrogative, pour affirmer:
L'article original avait été publié le 15 juillet dans The Times of India :
Parmi les commentaires en ligne ajoutés par les lecteurs du Times of India, il en est de sceptiques, mais il s'en trouve aussi pour reprendre les vieux arguments de Däniken et consorts: ces peintures rupestres auraient été réalisées par des gens si primitifs qu'ils n'auraient jamais pu inventer eux-mêmes de telles images; ils n'étaient capables que de recopier, et n'ont donc dessiné que ce qu'ils voyaient, donc, il s'agit bien d'OVNIS et d'extraterrestres, CQFD:
D'autres médias indiens se sont fait l'écho de l'article du Times of India (par exemple ici). Ainsi qu'il est hélas de plus en plus fréquent, aucun des responsables des sites qui ont repris ce pseudo-scoop n'a pris la peine de faire la moindre recherche pour au moins vérifier que cette découverte en était bien une. Certains des clichés qu'ils relaient étant signés d'Anuradha Goyal, une recherche sur le nom de cette personne permet pourtant de trouver facilement son blog, où elle met en ligne ses photos de voyage, et de constater qu'elle avait déjà publié certaines de ces images en 2012.
Il y a mieux: bien que les auteurs aient mentionné le Département de la Culture et de l'Archéologie de Chhattisgarh, ils n'ont même pas eu la curiosité de consulter le site officiel de cet organisme. L'eussent-ils fait, qu'ils auraient pu constater qu'une page y est consacrée aux sites d'art rupestre de la région, qui sont nombreux: une trentaine d'entre eux y est recensée, et les premiers travaux en ce domaine remontent à 1910. Le dispositif rupestre qui vient de faire le bonheur des amateurs d'OVNIs y est dument cité: les peintures se trouvent au lieu dit Sitaramguda à Madhubanpara près de Gotitola.
Le site est tellement connu qu'il est mentionné sur les dépliants touristiques édités dans la région, qui nous expliquent que certaines des peintures ont été interprétées comme relatant des épisodes de la vie de Rama. C'est à se demander si la fausse information sur la fausse découverte de fausses images d'extraterrestres n'aurait pas été montée pour relancer le tourisme régional!
(cliquez sur l'image pour télécharger le dépliant)
Grâce au Département de la Culture et de l'Archéologie de Chhattisgarh, on peut avoir accès à de nombreuses photos des peintures rupestres de la zone, en assez bonne résolution pour qu'on puisse leur appliquer quelques traitements informatiques. En utilisant DStretch, on peut ainsi faire apparaître bien des détails qui ont échappé à nos fondus d'OVNIs. Ainsi, sur les peintures de Devta Kachahari se trouvent des animaux tout à fait terrestres. Voici l'une des photos téléchargeables sur le site:
Et voici la même, après traitement DStretch-LRE-AC:
D'autres quadrupèdes peu visibles sur les photos originales peuvent ainsi être découverts. En voici un autre exemple, avec à gauche le cliché de départ, et à droite le résultat d'un traitement YRD-AC:
Comme bien souvent, DStretch fait des merveilles. Voici une photo prise à Kherkheda:
Et la même, après traitement YRE:
On voit nettement apparaître, parmi les mains positives, quelques petits pieds; l'armature métallique de l'arme tenue par l'anthropomorphe devient nette, et deux autres anthropomorphes apparaissent en haut à droite, au-dessus du précédent.
Venons-en maintenant au site de Gotitola, qui vient de faire le bruissement (le buzz, quoi) sur la toile. Toujours grâce aux clichés mis en ligne par le Département de la Culture et de l'Archéologie de Chhattisgarh, voici une vue d'ensemble du panneau:
Ce dispositif paraît très intéressant, car outre les grands anthropomorphes, il comprend une foule de détails. Je me demande bien à quoi sert le petit trilithe situé juste à côté des jambes du visiteur... ce site serait-il un lieu de pratiques rituelles? Je ne le sais, mais je remarque qu'au-dessus de la tête des grands anthropomorphes, se trouvent des mains positives et d'autres motifs:
Un traitement YRD-AC de cette photo permet de mieux voir les mains positives, et aussi, au-dessus d'elles, un quadrupède et d'autre tracés d'une facture différente:
Si l'on effectue maintenant un traitement YYE-AC, ce sont d'autres détails qui apparaissent, en particulier des anthropmorphes qui semblent tenir des armes d'hast:
Juste pour le plaisir, voici quelques détails de l'arme de gauche, permettant de constater qu'il y a sur ce panneau une série de superpositions qui permettraient certainement d'établir la chronologie de sa réalisation.
Un tel travail serait certainement plus utile à la connaissance du passé de la région que toutes les spéculations gratuites qui sont en train de se multiplier sur le Web. Si j'ai donné ces quelques exemples de traitement d'image, c'est aussi pour montrer qu'avec les techniques actuelles il est possible de faire apparaître sur les parois des figures qu'on n'y soupçonne pas sur place, même en ayant les yeux rivés sur la roche. Et il est donc parfaitement inutile de mouiller les peintures, comme vient de le faire le gougnafier qui contemple son méfait sur la photo ci-dessous. Mouiller les parois ornées, c'est accélérer le processus de disparition des images peintes, et aucun spécialiste sérieux ne s'y risque plus de nos jours, ni en Inde, ni ailleurs. J'en déduis donc que ce personnage n'est pas un archéologue, ou bien que si c'en était un, il serait particulièrement incompétent.
J'ai gardé le meilleur pour la fin. J'ai dit que plusieurs médias indiens avaient repris l'article original du Times of India. Eh bien, ma reprise préférée est celle que je reproduis ci-dessous, en l'empruntant au site News18.com, car le texte y est cette fois illustré avec une photo (rubriquée)... d'un site bien connu de la Tasīli-n-Ajjer au Sahara central!
La devise de certains «journalistes» de la toile est sans doute quelque chose comme: «qu'importe l'image, du moment qu'on a le scoop».