L'enfant des étoiles
«Starchild» est le surnom donné par les médias à un crâne d'enfant qui aurait été trouvé vers 1930 à côté d'un squelette d'adulte, dans une ancienne galerie de mine du Copper Canyon, dans l'État de Chihuahua au Mexique. Alors qu'une jeune fille d'origine mexicaine âgée de quatorze ou quinze ans et dont la famille avait émigré à d'El Paso (Texas) serait venue visiter son village d'origine au Mexique, elle serait entrée dans une galerie abandonnée, et y aurait découvert un premier squelette, simplement posés sur le sol. À côté, elle aurait remarqué une sépulture superficielle dont émergeait une main malformée se refermant sur le bras de l'adulte voisin. En creusant, elle aurait mis au jour un petit corps déformé. Elle aurait alors rassemblé les os des deux défunts dans le panier qu'elle avait emporté en pensant rapporter des fruits de sa promenade, et de peur de se faire réprimander, elle aurait caché le tout sous les racines d'un arbre voisin. Hélas, une pluie diluvienne tomba toute la nuit, formant un ruisseau qui emporta le tout. Deux jours plus tard, venant récupérer son trésor, elle aurait découvert le désastre, ne pouvant retrouver que les deux crânes, qui s'étaient coincés dans un buisson.
Elle les aurait récupérés sans rien dire à ses parents, pour les cacher dans ses affaires. De retour à El Paso, elle aurait gardé le secret, et aurait conservé ces reliques jusqu'à sa mort au début des années 1990. À la fin de 1998, les deux crânes seraient entrés en possession de Ray et Melanie Young, d'El Paso. Par une heureuse (?) coïncidence, ces nouveaux propriétaires auraient été membres du MUFON d'El Paso, c'est-à-dire du Mutual UFO Network, une association locale de personnes persuadées de la réalité des visites d'aliens sur terre. C'est pourquoi ils auraient immédiatement compris qu'ils avaient en mains un document de première importance, et auraient décidé le faire connaître.
Saisie d'écran de l'un des nombreux films de Lloyd Pye diffusés sur Youtube. À gauche, le crâne de «Starchild.»
Je mets toute cette histoire au conditionnel, car on ne connaît pas le nom de la jeune fille du début, ni celui de la grotte, ni son emplacement exact, et le tout ressemble fort aux récits traditionnels de découverte des fameux «crânes de cristal» dont on sait parfaitement maintenant qu'il s'agit de faux (voir la démonstration détaillée dans Des Martiens au Tassili). La forme du récit est celle d'un FOAFtale, type de conte présenté comme vrai mais où l'informateur originel, auquel le narrateur est relié par un petit nombre d'intermédiaires, demeure néanmoins inaccessible. De plus l'histoire est narrée par Lloyd Pye, qui présente lui-même son propre champ d'expertise en ces termes: «origines de la vie, de la vie humaine, de la réalité des aliens, de la réalité des hominoïdes (bigfoot, yéti, etc.)»… bref c'est un spécialiste de la «connaissance alternative» (alternative knowledge). Et c'est lui-même qui le dit: c'est dire si on peut avoir confiance.
Pourtant, il n'en fallait pas plus à ce doux rêveur (ou habile marchand?), pour lancer ce qu'il a baptisé le «Starchild Project», développé sur un site internet dédié où on peut acheter un livre de 300 pages donnant son interprétation des faits. Celle-ci, dit-il, s'appuie sur l'avis d'une cinquantaine d'experts qui, tous, auraient été incapables d'expliquer la forme bizarre du crâne. Alors — bon sang mais c'est bien sûr! —, le crâne en question ne peut être que celui d'un alien, et plus précisément d'un «Petit Gris»:
«Reconstitution» publiée sur les sites de Lloyd Pye.
Starchild serait l'enfant d'une humaine et d'un alien, soit que la femme se soit unie à l'un de ces fameux «anciens astronautes», soit qu'elle ait été inséminée par eux au cours d'une expérience pas entièrement réussie, puisque l'enfant est mort bien avant l'adolescence.
Le problème est que ces «experts» introuvables n'ont jamais rien publié à ce sujet nulle part. Lloyd Pye affirme ici que lesdits experts auraient refusé d'être cités, de peur d'être sévèrement attaqués par la «science officielle» (ben voyons! — toujours ce même discours des cranks sur la «mainstream science», comme s'il y avait plusieurs sortes de sciences). Et surtout, s'ils existent — ce qui me semble douteux — ces experts ont tous été incapables de voir que le crâne en question est incontestablement celui d'un enfant atteint d'hydrocéphalie, et mort à l'âge d'environ cinq ans.
De plus, une analyse génétique d'un échantillon de ce crâne aurait été réalisée en 1999 par le Dr. David Sweet, directeur du Bureau of Legal Dentistry de l'Université de Colombie Britannique à Vancouver, et il se serait alors avéré que l'ADN de cet enfant contenait un chromosome X et un Y. Selon ce résultat, ce crâne est donc parfaitement humain. En 2003, une autre analyse a été réalisée, confirmant que l'ADN mitochondrial de Starchild provenait d'une «typical Amerindian female.»
Mais les tenants de la théorie des anciens astronautes sont tellement incapables de regarder la réalité en face que Lloyd Pye réussit alors le tour de force de tirer de ces analyses une confirmation de ses thèses: «L'ADN mitochondrial de Starchild était celui d'une femme amérindienne typique,» écrit-il, «ce qui cadre parfaitement avec notre théorie selon laquelle Starchild était l'un des légendaires "enfants des étoiles" créés par insémination des femmes indiennes avec les germes des Êtres Stellaires» ("The Starchild’s mtDNA was that of a typical Amerindian female, which fits well with our theory that the Starchild was one of the legendary “Starchildren” created by impregnating native women with the seed of Star Beings" — source).
Il est vrai qu'un récit amérindien répandu et bien connu des mythologues est celui que les folkloristes classent sous le type «Star Husband», et auquel de nombreux travaux ont été consacrés — mais ce mythe n'est pas plus à prendre au pied de la lettre que celui d'Orphée, et il faut quand même une bonne dose de naïveté pour y voir, comme le fait Lloyd Pye, le reflet de faits réels. Et que l'ADN mitochondrial de Starchild soit celui d'une femme amérindienne normale cadre aussi très bien avec la théorie selon laquelle il s'agirait simplement d'un petit enfant malformé!
Les choses sont pourtant simples: Lloyd Pye admet que la mère du prétendu Starchild était une Amérindienne tout ce qu'il y a de plus humaine: c'est donc elle qui lui a transmis le chromosome X, qu'elle possédait en deux exemplaires, comme toutes les femmes. Alors d'où vient le chromosome Y, seulement transmis par les hommes? D'un homme, naturellement, et certainement pas dun alien!
C'est un argument qu'avait naguère avancé Carl Sagan: à supposer que des aliens existent et qu'ils aient occupé la terre à une époque très ancienne, ils n'auraient jamais pu «inséminer» des humaines, car leur patrimoine génétique, résultant d'une évolution complètement différente de celle des humains sur terre, serait incompatible avec le nôtre. Ainsi que le résume plaisamment Steven Novella, neurologue de l'Université de Yale qui a fondé le blog scientifique NeuroLogicaBlog et qui s'oppose fermement aux affirmations de Lloyd Pye, «il serait plus facile de croiser un humain avec un pétunia qu'avec un alien.»
Argument imparable, qui a conduit Lloyd Pye à publier d'autres analyses, qui contredisent la première. Selon lui, celle-ci résulterait d'une contamination des échantillons lors de manipulations par des étudiants inexpérimentés. Certes, la génétique a fait beaucoup de progrès depuis 1999, et c'est très bien de procéder à de nouvelles analyses, effectuées avec des techniques plus performantes. La dernière en date, mentionnée ici en 2012, aurait permis de séquencer une infime partie du génome de Starchild. Certaines données du résultat n'auraient pas d'équivalent connu dans la base de données du National Institute of Health du Maryland, et Lloyd Pye interprète cela comme une indication du caractère «non entièrement humain» de Starchild. Déduction pour le moins hâtive, surtout sachant que la fonction d'une bonne partie du génome humain non commun aux autres mammifères est encore inconnue (source).
Mais à quoi sert de discuter? Les résultats de ces analyses sont présentées ici au conditionnel car aucune, absolument aucune de celles mentionnées par Lloyd Pye n'a été publiée ailleurs que sur son blog et par lui-même. Il ne cite aucune source fiable, alors qu'il prétend révéler des découvertes révolutionnaires. Une fois de plus, il est légitime d'appliquer l'adage de Laplace: «Le poids de la preuve pour une affirmation extraordinaire doit être proportionnel à son degré d'étrangeté» — adage généralement adapté en anglais sous la forme: «Extraordinary claims need strong evidence.» Or ce qu'offre le blog de Lloyd Pye, c'est tout juste le contraire: «Weak evidence for extraordinary claims.»
Ah oui, encore un détail: avant de prendre en main (ou d'inventer?) toute cette histoire, Lloyd Pye avait déjà publié un autre livre modestement intitulé Everything you know is wrong, dans lequel il expliquait — entre autres âneries — que Darwin se serait trompé.
Eh bien voilà, il fallait le dire tout de suite!