En Australie, les peintures "Bradshaw" sont vivantes

Certaines peintures rupestres d’Australie ne sont pas composées de pigments, mais de micro-organismes vivants…

Les peintures rupestres du style « Bradshaw » se trouvent dans le Kimberley (nord-ouest de l’Australie), et ce nom est celui de l’homme qui les fit connaître au public savant en 1881: Joseph Bradshaw, mais les Aborigènes de la région les appellent Gwion Gwion.


(cliquer ici pour voir le film en entier sur le site original)


Ces peintures sont mal datées, comme souvent lorsqu’il s’agit d’art rupestre, mais plusieurs chercheurs pensent qu’elles pourraient être les plus anciennes du monde, et leur origine fait l’objets d’âpres débats: Grahame Walsh, qui les avait étudiées pendant plus de 25 ans, estimait qu’elles auraient pu être réalisées par un peuple inconnu, sans rapport direct avec les Aborigènes actuels, ce à quoi d’autres spécialistes comme Peter White répondent que cet argument est comparable à ceux qu’utilise
Von Däniken, qui clame depuis des années (évidemment à tort) que tout vestige archéologique « étonnant » ne saurait être créé que par des « étrangers » (ce qui implique que les « autochtones » seraient trop primitifs pour disposer de la créativité suffisante).
De toute manière, et quoi qu’on en pense, il est impossible de clore ce genre de débat sans disposer d’une base chronologique solide. Il y a quelques années,
une image en style Bradshaw a été datée par AMS et OSL d’au moins 17.000 ans (date post quem) par analyse du pollen et des phytolithes emprisonnés dans un nid de guêpes fossile qui lui était superposé, mais certains pensent que plusieurs images représentant des animaux disparus de la mégafaune, ou des plantes éteintes, pourraient être beaucoup plus anciennes: 46.000 ans, voire 70.000. Il s’agirait alors du plus ancien art figuratif du monde.

Or une équipe de chercheurs (1) vient d’étudier 80 de ces peintures, et a prouvé que leur aspect très « frais » vient de ce qu’elles ne sont pas actuellement composées de pigments, comme on pourrait le penser en se contentant de les admirer à l’œil nu. Certes à l’origine elles ont bien été réalisées avec des pigments, comme toute peinture rupestre qui se respecte, mais au fil du temps ceux-ci ont été assimilés par des micro-organismes qui ont acquis leur couleur, et les ont progressivement remplacés. Le résultat est qu’au microscope la majorité des peintures étudiées ne montre plus… aucune trace de peinture! Leur couleur provient désormais de l’association d’une cyanobactérie rougeâtre et d’un champignon noirâtre du groupe des Chaetothyriales. Ces organismes vivant en symbiose forment un « biofilm » qui se reproduit sur la paroi tout en restant dans les limites de l’image originale, assurant la pérennité visuelle de celle-ci alors même qu’elle a disparu. Il est maintenant envisagé d’analyser la séquence ADN de ces organismes pour tenter de mettre en lumière leur phylogénie, et — peut-être — enfin dater les œuvres originales.
Pour l’heure, la conclusion la plus surprenante est celle-ci: les peintures sont réellement vivantes!
On se prend alors à rêver en se souvenant que l’un des mythes d’origine de l’art rupestre le plus répandu en Australie expose que des êtres du « temps du rêve » arrivèrent dans des abris-sous-roche après une longue pérégrination, et là se précipitèrent contre les parois, où ils se métamorphosèrent en peintures. Ce pourquoi, poursuivent les conteurs aborigènes, il s’agit d’être vivants, susceptibles d’apparaître et de disparaître de temps à autre.

JLLQ

(1) Voir Jack Pettigrew, Chloe Callistemon, Astrid Weiler, Anna Gorbushina, Wolfgang Krumbein & Reto Weiler, « Living pigments in Australian Bradshaw rock art », Antiquity online, vol. 84, issue 326, dec. 2010.