Une écriture picte ?
Il en va tout autrement d’un récent rebondissement des recherches sur les « symboles » ou « signes » pictes.
Les Pictes, confédération de tribus celtiques, sont connus pour avoir laissé en Ecosse une centaine de pierres et stèles ornées datant de 300 à 843 de l’ère commune. Ces pierres portent des gravures animalières et symboles énigmatiques dont l’inventaire le plus récent reconnaît 43 types. Chaque pierre présente le plus souvent un ou deux d’entre eux, mais il peut y en avoir jusqu’à huit. On s’est beaucoup interrogé sur l’origine de ces documents, sur leur datation, et bien évidemment sur leur signification, à propos de laquelle plusieurs théories ont déjà été proposées, y compris, comme de coutume, une interprétation chamanique (sur laquelle voir cet article de Jenny Blain). En 1966, dans une étude intitulée The Pictish animals observed, C. A Gordon a même comparé certains des animaux qui y figurent avec des gravures rupestres de Scandinavie.
Le sanglier gravé sur la pierre de Dunadd (Argyllsjire), d’apr. Gordon 1966.
Dans sa révision du dossier, Ross Samson a estimé en 1992 qu’il devait s’agir de mémoriaux portant le nom de défunts. En effet, la fréquence des paires de symboles semble à mettre en relation avec la construction des anthroponymes anglo-saxons et irlandais, qui procède régulièrement par appariement d’éléments thématiques. Plus récemment (en 2007) D.V. Clarke a repoussé l’idée qu’il s’agirait de marques funéraires, suggérant que ces monuments auraient été créés en réaction à l’activité des missionnaires chrétiens.
Parallèlement, l’hypothèse d’une véritable écriture a été parfois soutenue, notamment par K. Forsyth, qui appelait de ses vœux des travaux statistiques de grande ampleur, ce que viennent justement de faire Rob Lee, Philip Jonathan et Pauline Ziman.
Passant alors à la question de leur signification, ils se demandent quel genre de communication pourraient-elles bien porter: sémasiographique (sans référence à la langue, comme par exemple les signes héraldiques, qui n'ont pas de valeur lexicographique mais permettent d'identifier une personne ou un lieu), ou bien lexicographique (c’est-à-dire en référence à une langue). Dans ce dernier cas, pourrait-il s'agir de : logogrammes (représentant des mots de façon non phonétique), de syllabogrammes (représentant phonétiquement des syllabes), de signes alphabétiques (représentant des lettres) ou d’un code (tel que le morse) ?
Selon la théorie de l’information, tout système de communication présente un degré d'incertitude (entropie) qui peut être mesuré, de même que peut être mesurée l'incertitude moyenne relative à tout caractère qui en suit un autre connu. Une analyse statistique peut alors être conduite sur divers corpus (généalogies royales, prose, poésie, etc.) établis en diverses langues (européennes anciennes et modernes, égyptien ancien, chinois, etc.) et auxquels le corpus des symboles pictes est comparé selon les mêmes procédures mathématiques. Les résultats démontrent d’une part qu’il y a très peu de chance que ces symboles aient été agencés au hasard ou qu'il s'agisse de signes sématographiques (héraldiques) et d’autre part que leurs caractéristiques les rapprochent des langage écrits.
Par ailleurs, comme certaines pierres ne présentent qu'un seul signe, il est peu probable que les symboles représentent des syllabes. La conclusion logique est alors qu’il s'agit presque certainement de mots dont la signification reste à établir.
La méthode utilisée est particulièrement intéressante, car elle pourrait s’appliquer à d’autres ensembles de signes... rupestres en particulier.
Avis aux amateurs !
JLLQ