Encore l'origine de l'écriture!

Une énième resucée de la théorie qui veut trouver l’origine de l’écriture dans l’art des grottes...

Le dernier numéro de la revue anglophone New Scientist (semaine du 20 février 2010) fait sa couverture sur l’origine préhistorique de l’écriture. Ce sujet a déjà été tellement rebattu de par le passé, sans aucun argument convaincant, que l’on se précipite sur ce numéro en se demandant avec impatience quelle nouveauté peut bien avoir l’honneur d’une telle promotion.

On découvre alors que l’article correspondant, signé de Kate Ravilious, laisse entendre que peu de chercheurs se seraient jusqu’à présent intéressés aux signes observables en grand nombre dans les grottes ornées. Citant un mémoire de Geneviève von Petzinger, elle s’étonne avec elle de ce que personne n’aurait pris la peine de comparer les signes de grottes différentes. Et ce serait grand dommage car, ajoute-t-elle, « les symboles abstraits sur les parois des grottes pourraient être à l’origine de l’écriture » [p. 31 : « Abstract symbols on cave walls may be the origins of writing »]. Notant en plus que certains de ces signes relèvent du procédé rhétorique de la synecdoque -- consistant à dénommer le tout par la partie (et donc, graphiquement, à représenter par exemple un mammouth en dessinant juste sa bosse ou ses défenses) -- Geneviève von Petzinger et April Nowell (la seconde ayant dirigé le mémoire de la première à l’University of Victoria en Colombie Britannique) en déduisent que ce serait là le début d’un véritable langage pictographique.

Hélas, la première affirmation est largement contredite par les nombreux travaux publiés
en français sur ce thème, depuis ceux d’André Leroi-Gourhan jusqu’à ceux de Denis Tauxe en passant par la thèse de Denis Vialou, pour ne citer que quelques noms. Quant au procédé de la synecdoque, il y a belle lurette qu’il a été très bien repéré sur l’art des grottes...

Malheureusement, le reste de l’article est à l’avenant: Geneviève von Petzinger « découvre » par exemple que les claviformes pourraient être une forme féminine stylisée — alors qu’en son temps Leroi-Gourhan les classait déjà parmi ses signes féminins. C’est à se demander si elle a réellement lu cet auteur, et ne s’est pas contentée de regarder les images illustrant ses publications.

Elle s’étonne aussi de ce que certains signes, en particulier les mains négatives, apparaissent régulièrement par paire… mais est-ce si surprenant, quand les humains sont bimanes, et pas trimanes ou monomanes!

Parmi les réactions à une présentation qui ne méritait certes pas un tel écho médiatique, Kate Ravilious mentionne celle de Iain Davidson, un spécialiste des arts rupestres d’Australie, qui déclare : « On peut voir que ces gens [les artistes des grottes] avaient des conventions similaires pour représenter quelque chose »
[« We can see that these people had a siimilar convention for representing something »]. C’est commenter une banalité par une erreur, car non, justement, on ne peut absolument pas le voir puisqu’on ignore tout de la signification des signes en question, et donc des conventions de représentation. Ce n’est pas parce deux signes se retrouvent en deux lieux différents qu’ils avaient le même sens, ou qu’ils obéissaient aux mêmes conventions. Supposer le contraire, c’est renouer avec le « comparatisme sauvage » du XIXe siècle.

Nos auteures s’extasient aussi devant le fait que les « symboles » répertoriés se retrouveraient presque partout dans le monde depuis les temps les plus anciens. Comme bon nombre d’entre eux existent en Afrique, elles osent en conclure que « ces symboles voyagèrent avec les tribus préhistoriques lorsqu’elles émigrèrent hors d’Afrique » [
p. 34 : « these symbols travelled with prehistoric tribes as they migrated from Africa »]. Elles oublient donc la règle sémiotique élémentaire qui veut que la fréquence d’un signe soit directement proportionnelle à sa simplicité: il y a des points (ou cupules) absolument partout et à toutes les époques, de même que des lignes et des croix, mais ce n’est déjà plus le cas des « tectiformes ».

Quant à leur tentative -- intéressante au demeurant dans son intention -- de constituer un répertoire géo-chronologique mondial des signes, elle est tout simplement désarmante. Qu’on en juge en examinant (ci-contre) la partie africaine de la carte sur laquelle s’appuie en partie la recherche mentionnée: le Sahara y est évoqué par un ensemble « North Africa » où ne se trouveraient, en matière de signes, que des cupules, cercles, traits, mains et croisillons. Où sont donc passés les spirales, cercles concentriques, arceaux et autres « signes de chasseurs » chers au Général Huard et qui se comptent par milliers au Sahara central ? -- à la trappe, oubliés!

Bref: une publication bâclée, ignorant des décennies de travaux minutieux, est présentée comme novatrice dans une grande revue anglophone... où la lecture des auteurs français dans le texte n’est manifestement pas le pain quotidien.

JLLQ

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Pour aller plus loin (les liens permettent de télécharger les articles) :


Sauvet, Georges, Sauvet, Suzanne, & Wlodarczyk, André (1977). «Essai de sémiologie préhistorique (Pour une théorie des premiers signes.» Bulletin de la Société préhistorique Française 74: 545-558.

Sauvet, Georges & Sauvet, S (1979). «
Fonction sémiologique de l’art pariétal animalier franco-cantabrique.» Bulletin de la Société préhistorique française 76(10-12): 340-354.

Sauvet, Georges & Wlodarczyk, André (2008). «
Towards a Formal Grammar of the European Palaeolithic Cave Art.» Rock Art Research: The Journal of the Australian Rock Art Research Association (AURA) 25(2): 165-172.






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