L'anthropologie pour tous !
Samedi 6 juin 2015, de 9h30 à 18h
La Commune – CDN d’Aubervilliers
2, rue Edouard-Poisson
93300 Aubervilliers
Entrée libre. Tél. : 01 48 33 16 16.
Le samedi 6 juin 2015, de 9h30 à 16h30, à La Commune – CDN d’Aubervilliers, l’équipe du théâtre et les élèves du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers organisent un colloque, intitulé «L'anthropologie pour tous».
Son but est de montrer que l'enseignement de l'anthropologie constitue une réponse plus constructive et plus sereine aux préoccupations actuelles que celles - que nous croyons réductrices -, de l'enseignement du fait religieux et des cours de morale laïque.
Il sera présenté et animé par les élèves du Projet Thélème du lycée Le Corbusier, qui interviendront en fin d’après-midi, pour illustrer la possibilité d’une anthropologie pour tous. Son public ne sera pas un public de spécialistes : la compagnie, variée, sera composée de jeunes, de leurs parents, d'habitants d'Aubervilliers, d'intellectuels qui soutiennent notre projet, et de tous ceux que l'appétit d'un savoir non intimidant conduira jusqu'à nous.
Chaque peuple et chaque société a sa propre vision du monde. Ces conceptions sont extrêmement différentes et parfois contradictoires. Chacune prétend à l’universalité, aucune ne l’atteint réellement. Les propositions fleurissent actuellement pour refonder l’unité nationale par un enseignement renforcé des valeurs républicaines. Mais celui-ci ne saurait se passer d’une élucidation de leurs fondements philosophiques et historiques. Au lieu de s’installer dans le dogmatisme scientiste d’une raison occidentale certaine de ses représentations, de ses croyances et de ses valeurs, mieux vaudrait accepter la position – seule intellectuellement conséquente – d’un comparatisme informé.
Aborder le répertoire des mythes (c’est-à-dire des manières dont l’humanité représente et explique le monde et la condition humaine) nous paraît, à cet égard, la seule manière de rendre effectif un enseignement laïc des cultures. Choisir, comme les réformes en cours le proposent, d’enseigner le « fait religieux » reviendrait à réduire la diversité mythologique aux seuls trois monothéismes, en ignorant, du fait d’un ethnocentrisme dommageable, que toute explication mythique n’est pas nécessairement religieuse. Le concept de « fait religieux » est donc une universalisation artificielle et factice.
Enseigner les mythes en adoptant la position comparatiste, ni subjectiviste, ni communautariste, est la condition sine qua non d’une laïcité en acte. Comment admettre en effet qu’on puisse construire une identité universelle sur une seule interprétation du monde ? On comprend dès lors pourquoi la morale laïque est une contradiction dans les termes, et pourquoi la République gagnerait à lui préférer un enseignement des cultures.
Au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, nous avons commencé à réfléchir à la mise en place d’un tel enseignement. Nous en sommes aux débuts d’une aventure que nous croyons féconde et que nous continuerons l’an prochain. Cela dit, et parce que les décisions ministérielles installent, dès septembre 2015, un «nouvel enseignement moral et civique», nous croyons nécessaire de réfléchir aux conditions d’un infléchissement de ces décisions, que nous croyons devoir être analysées et discutées.
Un enseignement structuré de l’anthropologie, dans le primaire comme dans le secondaire, permettrait une appréhension rationnelle et dépassionnée des innombrables façons de voir le monde. Plus généralement, un enseignement renforcé des sciences humaines et sociales devrait permettre de lutter contre deux maux qui affligent notre époque : le hors-sol et l’amnésie, à l’origine de bien des égarements. L’enseignement de l’anthropologie s’inscrit donc dans un plus vaste projet de réactualisation de l’enseignement des humanités. L’histoire, la géographie, les langues (dans leur dimension culturelle et pas seulement comme médias techniques ; les langues mortes autant que les langues vivantes), comme la sociologie et l’anthropologie permettent de comprendre ce qui fait notre humanité, dans sa diversité et sa complexité.
Pour élucider les conditions théoriques et pratiques d’un tel enseignement, il nous paraît utile de rappeler d’abord que, si «la pensée rationnelle a un état civil», comme le disait Jean-Pierre Vernant, les valeurs républicaines ont également une naissance, une histoire, et s’enracinent dans des mythologies qui, à force de nous sembler naturelles, nous deviennent inconnues (André Charrak). L’anthropologie est un mode d’investigation en même temps qu’un projet de connaissance : comprendre les représentations des autres suppose de les montrer : Maurice Godelier nous éclairera sur ce point. L’observation sur le terrain et le « scandale logique » que constitue la confrontation entre les représentations a conduit Philippe Descola à poser le concept de « pluralisme ontologique ». Il nous exposera les fondements de sa théorie. Celle-ci participe à justifier un enseignement mieux développé de l’anthropologie dès avant le supérieur, dans la mesure où la conception ontologique qui est la nôtre ne saurait se passer d’un examen comparatif avec les autres.
Si les mythologies s’inscrivent dans la croyance en une mémoire partagée, elles ne peuvent exister en dehors de la langue : les mots disent les représentations du monde, au point tel qu’il faut interroger les intraduisibles, non pas pour les réduire, mais pour rendre fécond le dialogue interculturel qu’impose l’intraduisible à toujours retraduire (Barbara Cassin).
Tout ce qui se raconte est pétri de mythologie : si l’éducation ne vient pas élucider les soutènements mythiques des représentations actuelles, on court le risque de considérer certaines reprises archaïsantes comme novatrices, en ignorant d’où elles viennent et ce à quoi elles conduisent. Le péril est en effet de ne pas disposer des outils permettant l'approche critique de représentations qui prétendent renouveler notre vision du monde, alors qu’elles ne font en réalité que recycler d’anciens mythèmes (Stéphane François et Bernard Sergent). On risque également de confondre mémoire collective et discours sur la mémoire, de prendre pour culture commune ce qui relève d'un regard ethnocentrique. Il convient alors d’interroger les usages sociaux et culturels du passé, en posant les fondements d’une anthropologie de la mémoire, qui interrogerait les rapports entre Mnémosyne et Clio (Joël Candau).
Forts de ces analyses, nous souhaitons montrer l’utilité d’un enseignement de l’anthropologie et des sciences sociales dans le cadre scolaire qui, dès la prime enfance, doit être le lieu d’une constitution sereine et lucide des identités (Bernard Lahire). La nécessité de cet enseignement ainsi démontrée, nous observerons ce qui se fait déjà (Ethnologues en herbe et Projet Thélème).
Programme des interventions
Matin (9h30 / 13h)
Maurice Godelier
Joël Candau
Bernard Sergent
Bernard Lahire
Après-midi (14h / 18h)
Philippe Descola
Barbara Cassin
André Charrak
Stéphane François
Fabien Truong et Ethnologues en herbes
Le Projet Thélème au théâtre de l’anthropologie
Jean-Loïc Le Quellec (conclusion)
Quelques vidéos de plusieurs des participants,
glanées sur la toile:
Philippe Descola
Barbara Cassin
Bernard Sergent
Maurice Godelier
Stéphane François
Jean-Loïc Le Quellec