Disparition de Claude Gaignebet
Le jour Sainte-Agathe, celui même où je rentrais en France après un séjour d’un mois dans le Gilf al-Kebîr, j’ai reçu à ma descente d'avion cette nouvelle qui m’a glacé bien plus que le vent d’alors: l’ami Claude Gaignebet venait de disparaître!
Cher Claude, par ta parole, c’est toute la mythologie qui venait à nous comme par la voix d’un Saintyves ayant dévoré Lacan, Lévi-Strauss, Dumézil et mille autres. Helluo librorum!
De longtemps les mythes n’avaient eu tel passeur.
Se saisissant d'un mot, d'une citation, d'un objet, d'un fil, ton discours (muthos!) toujours de nouveau tissé nous emportait de conte en proverbe, de légende en poème, des anciens ouvrages aux tournemains d'artisans, et tout soudain retrouvait sens.
Gaieté d’esprit, mépris des causes fortuites, haut savoir et francs sourires: tout nous paraissait si simple en t’écoutant! À ton appel
("Souvenez-vous...")
nous faisions parfois mine de nous remémorer des passages que nous n’avions jamais lus, mais c’est que nous attendions le
«c’est-à-dire…»
que tu faisais suivre des rapprochements les plus inattendus, et le monde alors s’éclairait.
Cher Claude, tu étais tellement bouillonnant, tellement émerveillant, tellement vivant, tellement jubilant
que nous en avions oublié le temps.
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"La Vérité (Aletheia) est la non-mort (Léthé) comme Amittai est non-mittai. rappelons que le mystérieux Golem (dont la version moderne emprunte à un certain Frankenstein — Free-Stone, voire Franche-Pierre — "Je ne bâtis que pierre vives, ce sont hommes", disait Rabelais) est animé par l'inscription sur son front d'Amittai ( Vérité ). Que le monstre se révèle encombrant et il suffit d'effacer prestement l'Aleph: frappé au front par Mittai (la Mort), il redevient aussitôt poussière. Comme on aimerait voir de telles lettres inscrites au front par le Maillet de la Maîtrise, en cela semblable à celui de Thor, de Sucellus, de Silvanus, car d'un côté il tue et de l'autre il ressuscite, voire désaltère car il est tonneau. Mais sur certains fronts le Maillet ne tue ni ne ressuscite, il fait simplement toc, toc, voilà tout."
Claude Gaignebet,
"Jérôme ou le nom sacré: HIERON ONYMA",
Ragile 3(1979): 86-99.
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Quelques liens pour découvrir la pensée de Claude Gaignebet:
Le masque en Europe occidentale (film).
Le pantagruélisme (film).
Le tarot (entretien avec Nathalie Moulin, en supplément au numéro 13 de la revue Venus d’Ailleurs)
Le Solstice d'été (conférence de 2009, à télécharger).
Les gros mots (émission de Bernard Pivot, diffusée en 1976).
Un texte parmi cent: "Anthropologie religieuse, ou l'aube où titube le poulet égorgé."
Quelques hommages par: