Des gravures paléolithiques en Afrique du Nord!
L’âge paléolithique des gravures de Qurta, en Égypte, est confirmé.
Le résultat -- très attendu ! -- des datations en cours pour situer précisément dans le temps les gravures rupestres du site de Qurta en Égypte (à une quarantaine de kilomètres au sud d'Edfu, sur la rive orientale du Nil) est enfin arrivé, et il vient d’être publié dans le dernier numéro de la revue Antiquity. L'équipe dirigée par Dirk Huyge a pu dater des sédiments qui recouvraient une partie de ces pétroglyphes: le résultat est que ce sont les plus anciennes gravures rupestres de toute l’Afrique du Nord. Cette date est incontestable, car elle a été obtenue, en utilisant l’OSL (Luminescence Optiquement Stimulée), sur des sédiments qui recouvraient complètement l’une des gravures, et qui ont livré les quatre dates suivantes: 10±1 ka, 13±1 ka, 16±2 ka et 17±2 ka. De plus, deux autres dates ont été obtenues sur des restes organiques, cette fois par la méthode du 14C: elles sont de 10585±50 BP et de 12130±45 BP, ce qui n’est pas significativement différent des précédentes (bien qu’elles soient moins fiables, car ce sont des dates sur ossements). Les dates OSL inspirent plus confiance, mais, dans tous les cas, il s’agit toujours de datations post quem, ce qui veut dire que les gravures sont forcément plus anciennes. De combien? Là est la question.
Panneau gravé de Qurta1 (relevé de Dirk Huyghe)
Parmi toutes les œuvres de Qurta, il en est qui attirent particulièrement l’attention: ce sont des figures féminines tout à fait comparables aux « femmes sans tête » du type Lalinde / Gönnersdorf qui, en Europe occidentale, sont datées des environs de 15.000 ans avant nos jours. Ces images avaient déjà été publiées en 1967 par Philip Smith, dans un rapport préliminaire sur ses recherches dans la région de Kom Ombo, mais à l’époque, elles n’avaient pas attiré l’attention.
Groupe de quatre femmes du type Lalinde / Gönnersdorf, gravées à Qurta
(d’après Smith 1967).
Ces faits sont remarquables et renouvellent notre vision d’une partie des images rupestres du Nord de l’Afrique. On se demande en particulier si les gravures de Qurta ne témoigneraient pas d’échanges culturels à longue distance d’un continent à l’autre, au Paléolithique supérieur (et alors dans quel sens ?) -- cela paraît d’autant plus envisageable qu’à cette époque le niveau des mers se situait à environ cent mètres au-dessous de l’actuel. D’autres sites à gravures ont été repérés dans la région de Qurta: leur inventaire et leur étude pourraient apporter des éléments de réponse à cette question.
Mais ce n’est pas que dans cette région qu’il conviendra de poursuivre l’enquête. En effet, dans une ancienne publication (parue en 1968) qui fut trop peu remarquée, Paolo Graziosi avait déjà évoqué la possibilité de gravures paléolithiques dans le nord de l’Afrique. Son article était significativement intitulé « L’art paléo-épipaléolithique de la Province Méditerranéenne et ses nouveaux documents d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. »
Pour définir cet art « méditerranéen » particulier, le grand préhistorien italien s’appuyait sur des critères stylistiques tels que, sur les taureaux, une corne tournée en avant et à profil ouvert: cette caractéristique, présente à Qurta, se retrouve par exemple sur une tête gravée sur un bloc de pierre de la grotte de Romito en Italie. Elle se remarque également sur des gravures de plusieurs sites de Cyrénaïque en Libye.
Il serait utile de préciser tous les critères d’identification de ce « style méditerranéen », et de reprendre l’étude de plusieurs sites qui pourraient fort bien en relever, comme celui de el-Khêl en Tripolitaine. On pourrait alors s’attendre à quelques surprises, sachant que la plus ancienne peinture d’Afrique du Nord se trouve sur la paroi d’un abri-sous-roche à Ifri n’Ammar au Maroc, où elle était couverte par des dépôts ibéromaurusiens datés des XIIIe-Xe millénaires BCE, ce qui leur donne un terminus ante quem grosso modo comparable à celui de Qurta. Dans ces niveaux, une carapace de tortue (Testudo græca) fragmentée portait des traces de pigment rouge sur sa surface interne, et pourrait donc bien avoir servi de récipient pour un peintre. Hélas, la peinture visible sur la paroi ne laisse rien reconnaître de précis, et ne peut qu’être inscrite dans la catégorie un peu fourre-tout des « signes. »
Ce qui semble s’esquisser maintenant, c’est la possibilité d’une « province » rupestre méditerranéenne qui se serait déployée parallèlement à la côte nord de l’Afrique, avec une extension notable le long du Nil, marquée par le site de Qurta.
Il me semble qu’il serait intéressant de chercher à tester cette hypothèse, qui prolonge l’intuition de Paolo Graziosi.
JLLQ
Bibliographie:
Bosinski, Gerhard 2011. Femmes sans tête. Paris: France, 228 p.
Eiwanger, Josef & Rainer Hutterer 2004. «Schildkrötenpanzer als Behälter für Farbpigmente aus dem Ibéromaurusien der Ifri n'Ammar (Marokko).» Beiträge zur Allgemeinen und Vergleichenden Archäologie 24 : 139-148.
Graziosi, Paolo 1968. «L'art paléo-épipaléolithique de la Province Méditerranéenne et ses nouveaux documents d'Afrique du Nord et du Proche-Orient» In E Ripoll Perello (Ed.), Simposio Internacional d'Arte Rupestre (pp. 265-273). Barcelona: Instituto de prehistoria y arqueologia.
Huyge, Dirk, Dimitri A.G. Vandenberghe, et al. 2011. «First evidence of Pleistocene rock art in North Africa: securing the age of the Qurta petroglyphs (Egypt) through OSL dating.» Antiquity (85) : 1184-1193.
Smith, Philip 1967. « A preliminary Report on the Recent Prehistoric Investigations near Kom Ombo, Upper-Egypt. » Fouilles en Nubie (Cairo: SAE): 195-208.