Religulous: la kaaba

La pierre dite « Kaaba », vers laquelle se tournent les musulmans lors de la prière, serait divine et viendrait du Paradis : complètement relidicule!

Avez-vous vu Religulous (traduit par « Relidicule » ou « religolo ») ) le film de Larry Charles dans lequel Bill Maher conduit tout une série d’interview décapantes auprès de prêtres, muftis, rabbins et meneurs de sectes? Il n’est pas si facile de le voir en France, eu égard au vieux préjugé selon lequel on aurait le droit de rire de tout, sauf de la religion.
Eh bien, parmi les passages de ce film qui m’ont ravi, figure celui-ci, dans lequel Bill Maher se fait expliquer par le Dr. Muhammad Hourani ce qu’est la « pierre noire » de la Kaaba (le Dr. Muhammad Hourani est directeur du Desk for Dialogue and Teaching for Peace au Shalom Hartman Institute de Jerusalem, institut dans lequel il est également chercheur. Il se fait appeler « Docteur » car il est titulaire d’un PhD, ou doctorat, je ne sais en quoi, mais sûrement pas en géologie ou en astrophysique)
.



Muhammad Hourani montrant à Bill Maher la direction de la Kaaba, dans le film
Religulous.

Muhammad Hourani: — The direction of prayer, you know, because everytime […] you start your prayer, you have to know exactly how to face the Kaaba in Mekka… ([montrant de la main, cf. photo ci-dessus] « La direction de la prière, vous voyez, parce que chaque fois que vous […] commencez la prière, vous devez savoir exactement comment faire face à la Kaaba à La Mecque… » )
Bill Maher — A rock, the Kaaba? Isn’t that… (« Une pierre, la Kaaba? N’est-ce pas… » )
MH: — No, no, no. (« Non, non, non. » )
BM —
A black stone. (« Une pierre noire. » )
MH: —
We don’t know the history of this stone. (« On ne connaît pas l’histoire de cette pierre. » )
BM — Stone, rock… I think it’s the same thing. Why is that holy? (« Une pierre, une roche… je pense que c’est la même chose. Qu’est-ce qu’il y a de sacré là-dedans? » )
MH: — The muslims believe that this stone came from Paradise. (« Les musulmans croient que la pierre est venue du Paradis. » ) [1]
BM —
Paradise? Could the rock itself have been what we now know to be like a meteor? (« Du Paradis? Cette pierre ne pourrait-elle être ce que maintenant nous savons être une météorite? » )
MH: — It’s black! and in the area there’s no black stones. (« Elle est noire! Et dans cette zone, il n’y pas de pierres noires. » )
BM — But does it make a difference, now that we understand what a meteor is? (« Mais qu’est-ce que cela change, maintenant que nous savons ce qu’est une météorite? » )
MH: —
This is the stone of God. (« C’est la pierre de Dieu. » )


(Miniature persane montrant le prophète Mohammed s’apprêtant à mettre en place la pierre noire à la Kaaba. D’après Rashid Al-Dîn, « Jami’ Al-Tawarikh » (« L’histoire universelle » ), manuscrit du début du XIVe siècle de l’ère commune conservé à la bibliothèque de l’Université d’Edinburgh).


Précisons que la nature géologique de la pierre noire de la Kaaba fut longtemps discutée.

Aux yeux de certains, comme A. R. Kahn dès 1938 (dans
Popular Astronomy 403-407), il était pratiquement certain que cette pierre soit bien une météorite. Il en résulte que ladite pierre a été officiellement ajoutée au catalogue mondial des météorites de Prior et Hey, qui fait toujours autorité (G.T. Prior, Catalogue of Meteorites, 2nd Revised Edition by M.H. Hey, London, British Museum, 1953, p. 173, consultable en ligne ici).

Pour d’autres, comme Robert Dietz et John McHone, qui se basaient sur le témoignage visuel de géologues musulmans (en particulier
Farouk el-Baz) ayant fait le pèlerinage et observé la « pierre » de près, on ne saurait être affirmatif, car ce qu’on appelle traditionnellement la « pierre noire » est de nature composite: il s’agit en fait de plusieurs fragments de petites dimensions, actuellement huit morceaux enchâssés dans une matière noire de nature inconnue, mais qui pourrait être une sorte de résine (voir Robert Dietz & John McHone, « Kaaba stone: Not a Meteorite: probably an Agate », Meteoritics 9 (1974): 173-179, et des mêmes auteurs: « Kaaba stone: presumably not a meteorite », Meteoritics 9 (1974): 334).

Il est maintenant facile de mettre tout le monde d’accord, car si la « pierre noire » de la Kaaba n’est pas une météorite, l’origine météoritique des huit fragments qu’on appelle ainsi est pourtant quasiment certaine, puisqu’il s’agit d’impactites. En effet, on sait que la chute d’un météore a bien eu lieu à Wabar, un site du désert du Rub’ al-Khâli qui se trouve à environ 1100 kilomètres à l’est de La Mecque, et qui est situé sur une vieille route caravanière y conduisant (Elsebeth thomsen, « 
New light on the origin of the Holy Black Stone of the Ka’ba », Meteoritics 15 (1980): 87-88).

Un cratère d’origine indubitablement météoritique a été découvert en cet endroit par Philby en 1932 (H.StJ.B. Philby,
The Empty Quarter, being a description of the Great South Desert of Arabia known as Rub’ al Khali. London, Constable & Co., 1933).

Le verre naturel qui en provient a pu être daté de 6400 ans ± 250 ans BP, ce qui indique que des hommes ont très bien pu être témoins de l’événement (D. Storzer & G.A. Wagner, « 
Fission track dating of meteorite impacts » Meteoritics 12 (1977): 368-369).

Là est sans doute la source de la Wabar (
Ubar) mentionnée par les poètes pré-islamiques comme étant une cité légendaire du Rub’ al-Khâli, également appelée « Iram aux piliers » (iram dhât al-’imâd: إرَم ذات العماد). Cette ville est mentionnée dans le Coran (sourate al-Fajr, verset 7) mais aussi, bien avant, sur les tablettes d’argile des archives d’Ebla.

Si l’on en croit
Nicholas Clapp, cette cité mythique serait attestée par l’archéologie. Ce qui est sûr, c’est que des traditions islamiques assurent qu’elle aurait été détruite par un feu céleste en conséquence de la méchanceté de Shaddad, son roi. Un feu céleste? tiens, tiens...

De plus le verre météoritique naturel provenant de cette région est noir et contient des millions de petites cavités remplies de gaz, de sorte que ses fragments peuvent flotter sur l’eau. Or de pieux récits musulmans content que la pierre noire de la Kaaba aurait été enlevée par les
Qarmates au quatrième siècle de l'hégire (soit en l’an 930 de l’ère commune) et que ceux-ci ne l’auraient restituée, brisée en plusieurs morceaux, qu'après vingt-et-un ans. Et, disent ces textes, on reconnut qu’il s’agissait bien de la pierre originale, car ces fragments flottaient sur l’eau!

Il me semble donc que l’affaire est entendue: la « pierre noire » de la Kaaba est un petit ensemble d’impactites provenant du Rub’ al-Khâli où elles sont été causées, il y a environ 6400 ans, par la chute d’une météorite. Des voyageurs les ont rapportées à la Mecque, et ce qu’il en reste après diverses tribulations a été scellé dans un ciment noir englobant. C’est cela que viennent toucher les pèlerins du « 
Hajj » en croyant que cela leur permet de nouer un contact direct avec leur dieu.

Alors, pour bien apprécier la fin de l’échange cité au début, il faut voir, dans le film de Larry Charles, les mimiques de Muhammed Hourani. Quand Bill Maher lui demande si la pierre noire de la Kaaba ne pourrait être une météorite, il répond sur le ton de celui qui avance l’argument qui tue, de celui qui expose une preuve sans réplique: « Mais c’est une pierre noire! Et dans cette zone, il n’y a pas de pierres noires [sous-entendu: naturellement] » Or loin d’aller dans le sens de la divinité de la pierre, loin de confirmer sa provenance paradisiaque, cet argument est justement un de ceux qui ont permis au contraire de supposer qu’il pourrait s’agir d’une météorite ! Si l’on voulait s’obstiner à croire que le bloc de la kaaba (الكعبة: terme arabe apparenté à notre mot « cube » et de même sens) serait bien « une pierre noire », comme le disent tous les musulmans, et puisque c’est ainsi qu’on l’appelle aussi en arabe (الحَجَر الأَسْوَد) -- alors que c’est faux ainsi qu’on l’a vu plus haut -- et si l’on voulait suivre Muhammed Hourani dans l’idée que cette « pierre » serait seule de sa couleur dans la région, il s’ensuivrait ce qui suit. Tous les chercheurs de météorites du monde savent que c’est dans les déserts qu’on les trouve le plus facilement. D’une part grâce à l’absence de sol dans lequel elles s’enfoncent habituellement partout ailleurs, et surtout à cause du contraste chromatique qu’elles forment avec la roche environnante. Imaginez-vous que vous êtes quelque part dans le désert Libyque ou sur un reg marocain, par exemple, en train de marcher sur un plateau désespérément aride où toutes les roches ont la même couleur blanche ou rosâtre, et que tout d’un coup vous aperceviez au loin une pierre noire qui contraste avec toutes les autres... eh bien, à tous les coups (ou presque), ce serait une météorite.


Alors affirmer comme le fait le bon « docteur » Muhammad Hourani sur le ton de l’évidence, qu’une pierre noire trouvée parmi les roches claires du désert arabique ne saurait provenir que du Paradis, c’est faire preuve d’une belle dose de... comment dire?...
sadhâja [2]

JLLQ


[1]. Pourtant, rien de tel ne peut se lire dans le Coran. Cela ne se trouve que dans un texte de al-Azraqi -- « Akhbâr Makkah » (« Nouvelles de La Mecque » ) Leipzig, Wüstenfeld ed., 1858: 10 -- qui affirme qu’il s’agissait d’une étoile du Paradis et qu’à l’origine elle était de couleur rouge rubis. D’autres traditions islamiques disent que la pierre était originellement aussi claire qu’un cristal, mais qu’elle aurait noirci à cause des péchés de l’humanité.

[2]
سذاجة: « naïveté » en arabe.

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