D'où vient le terme «Humanimal»?

Le mot «Humanimal» est souvent présenté comme un néologisme des années 2000, mais il est beaucoup plus ancien.
Dans La Caverne originelle, j'ai trop rapidement attribué à Renaud Ego la traduction des termes «théranthrope» et «thérianthrope» par «humanimal». Certes, Renaud Ego utilise bien ce mot, ainsi que celui d'«humanimalité», dans son très beau livre intitulé L'animal voyant, paru en 2015.

Ego - L'animal voyant

Et ces dernières années, «humanimal» a été repris de très nombreuses fois. C'est par exemple le titre d'un livre de Léo Urban paru en 2024.

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C'est aussi le titre de nombreux autres livres, mais aussi disques, mangas, films, et c'est également le nom de plusieurs sociétés et associations.

Films etc.

Bien avant la parution du livre de Renaud Ego, en 2011, l'anthropologue Simone Denis avait déjà mis en cause la division humain / animal en recommandant de particulièrement réfléchir sur la façon dont la connaissance est produite en utilisant des animaux de laboratoire. Cependant, ce n'est pas elle qui a créé ce néologisme, puisque, p. 142, n. 11, elle fait la remarque suivante:

«Il est intéressant de noter que la jaquette du film Humanimal, une production qui examine de près la manière dont la science produit actuellement des informations sur les animaux et qui "prouve que la frontière entre les deux mondes n'est pas aussi infranchissable qu'on le pensait autrefois" (notes de la jaquette du film), utilise également la figure du corps humain avec une tête d'animal.»

C'est l'occasion de rappeler qu'une série documentaire conçue par Thierry Berrod et coréalisée en 2006 avec Vincent Amouroux, est elle aussi intitulée Humanimal, et qu'elle a été diffusée sur Arte.

Simone Denis

De son côté, le généticien britannique Adam Rutherford, auteur du très utile How to Argue with a Racist («Comment argumenter avec un raciste»), a publié en 2019 un livre qui porte aussi ce titre, livre dans lequel il montre que bien des caractéristiques qu'on pensait jusqu'à récemment typiquement humaines sont également partagées par d'autres espèces. Cependant, il ne donne aucune information sur l'origine du terme qui nous intéresse.

Rutherford

Le cinquième chapitre du livre consacré par Claire Cazajoux-Augé à La Poétique animalière des nouvelles de Rick Bass, paru en 2021, est intitulé «Figures de l'‹Humanimal› », et l'autrice y déclare:

«Nous empruntons ce néologisme à Cary Wolfe. Dans Animal Rites: American Culture, the Discourse of Species and Posthumanist Theory (2003), Wolfe propose d'utiliser le mot-valise ‹Humanimal›, qui permet de dépasser la distinction humain/animal.»

Cary Wolfe

En réalité, c'est W.J.T. Mitchel, le préfacier de ce livre, qui emploie ce terme, et non Cary Wolfe. Je traduis ici le passage concerné (p. 13):

«Peut-être avons-nous besoin d'un nouveau terme pour désigner les créatures hybrides auxquelles nous devons apprendre à penser, une forme "humanimale" fondée sur le refus de la dichotomie humain/animal.»


Mais Mitchel enchaîne aussitôt avec cette précision :

«Je ne me laisse pas décourager par la mauvaise nouvelle que ce mot a déjà été inventé, comme m'en informe Cary Wolfe, "dans le titre d'une série télévisée vraiment ringarde et heureusement éphémère des années 1970 ou 1980, une sorte de variation sur le thème de Hulk".»

En 2011,
Kalpana Seshadri a sorti, dans une série justement dirigée par Cary Wolfe, un livre intitulé HumAnimal: Race, Law, Langage. On y retrouve le même terme, mais l'autrice prend soin de mettre en majuscule le /A/ de «animal», position qu'elle justifie par un discours inspiré de Lacan et Derrida:

«Je me risquerais à dire que l'espacement de l'impropriété des espèces serait peut-être structuré par un chiasme, qui émerge entre le pôle opposé de l'humain d'une part et de l'animal d'autre part, et le pôle opposé du langage à une extrémité et du droit à l'autre. Je garantis que l'analyse de cette zone indistincte de silence muet et d'inhumain impliquerait une révélation significative de la relation (contingente) entre le langage et le droit. Pour marquer et désigner l'exceptionalité de cet espacement, j'utiliserai un néologisme, à savoir "humAnimal", de préférence sans article indéfini afin d'éviter que humAnimal ne soit assimilé à un espace délimité, un objet représentable, une identité, un concept ou même un nom. Dans le contexte du silence brutal, peut-être qu'il ne peut marquer qu'un blip, un trou ou, plus exactement, un orifice, une ouverture dans le langage […] L'espacement de humAnimal ne peut être nécessairement discerné et retracé que par un langage spectral, par une langue qui a été coupée […] En un sens, ce projet s'apparente à un point de croix autour d'un trou, une entaille en forme de A qui peut ouvrir et fermer le tissage du pouvoir qui sépare et unit les humains et les animaux (p. 21-22).»

Une fois encore, le terme est donc désigné comme un néologisme.

HumAnimal

On peut encore citer Humanimal: A Project for Future Children, livre paru en 2009 et dans lequel Bhanu Kapil s'inspire de l'histoire d'Amal et Kamala, les deux filles-louves découvertes en Inde en 1920, et relate comment elle a accompagné au Bengale une équipe partie réaliser un documentaire sur ce sujet. Dans les remerciements réunis en fin d'ouvrage, elle écrit:

« Avec toute ma gratitude à Mona Lisa Production, Lyon, France, et tout particulièrement à Quincy et Pierre-François, pour cette incroyable aventure qu'a été le tournage en Inde. Sans vous, je n'aurais jamais vu la jungle inondée de bleu ni découvert le mot ‹humanimal› ».

En réalité, le terme est beaucoup plus ancien, puisqu'il apparaît en 1912 dans une critique de L'Après-Midi d'un Faune, alors donné au Théâtre du Châtelet dans la chorégraphie de Vaslav Nijinski, qui fit alors sensation. Après avoir vu une répétition du spectacle, Jules Bois écrivit dans Paris-Journal du 30 mai 1912:

Jules Bois

En affirmant que «humanimal» rend une «expression des anciens», l'érudit poète faisait peut-être allusion au terme θηριάνθρωπος, («thérianthrope») qui apparaît en effet dans les Epimerismoi («analyses») d'Hérodien, fragments d'étymologie remontant à la seconde moitié du deuxième siècle de l'ère commune.

On trouve déjà le même mot en 1860 chez le Dr. Frédéric-Louis Rössinger, médecin suisse spécialiste des rhumatismes et adepte du spiritisme, qui publiait un mensuel intitulé
Journal de l'Âme, dans lequel il rédigeait tous les articles. Dans le numéro 4, p. 276-287, il se fait l'écho d'un ouvrage rarissime dont il reproduit de longs passages. Il s'agit d'un opuscule attribué à un certain Jobard, et qui s'intitule «Monographie de l'Humanimal». Voici le début de ce texte:

Jobard

La plus ancienne attestation que j'ai pu trouver jusqu'à présent remonte à 1857, et se trouve dans un livre modestement intitulé Clé de la vie: L'Homme, la Nature, Les Mondes, Dieu, Anatomie de la vie de l'Homme. Il s'agit d'un recueil des réflexions de Louis Michel, dit de Figanières, un voyant qui eut son heure de célébrité en se disant capable de décrire en hypnose des scènes se déroulant à des kilomètres de distance, et qui avait ouvert un cabinet de consultation à Marseille.

Dans ce curieux ouvrage édité à compte d'auteur, on trouve, p. 513, ce passage:

Louis Michel

En attendant de — peut-être — trouver des attestations plus anciennes, voici la couverture du livre.

Louis Michel couverture