Bling bling au Muséum
L'intervenant de l'émission était Jérôme Sueur, bio-acousticien au Muséum national d'histoire naturelle, qui tient sur cette radio une intéressante chronique consacrée aux sons de la nature. Et cette fois-ci, il présenta, dit-il, «un lithophone trouvé, un peu par hasard, il y a quelques années, dans les collections du Musée de l'Homme, par Érik Gonthier, chercheur au Muséum.»
Photographie illustrant l'émission de France Inter.
Jérôme Sueur poursuit ainsi:
«La pierre est un cylindre plein, taillé et poli, venant du désert du Ténéré dans le Sahara nigérien et datant d'environ 8 000 ans. Cet instrument ressemble à un long pilon, mais il n'en a pas la fonction. Pesant seulement quelques kilos, ces lithophones sont facilement transportables. Ces instruments ont voyagé dès leurs premières utilisations puisqu'ils ont été, pour certains, trouvés à plus de 5 000 km du plus proche gisement métamorphique d'où ils auraient pu être extraits. Leur forme cylindrique et leur structure homogène assurent une clarté acoustique remarquable. Une seule percussion de quelques grammes par millimètres carrés génère des ondes transversales et longitudinales qui forment un son puissant et harmonique de plusieurs secondes. Ces roches nous transportent plusieurs millénaires en arrière en reproduisant un son fossile resté inchangé depuis leur première utilisation. Malheureusement, nous n'avons pas trace des usages musicaux des lithophones. Cependant, comme tout instrument de musique, ils ont été facturés pour être joués. En 2014, le Muséum a commandé au compositeur Philippe Fénelon une création musicale à partir de 22 lithophones néolithiques joués par les percussionnistes de l'Orchestre National de France de Radio France et accompagnés par un texte d'Erik Gonthier... Et voilà comment la musicalité de pierres multiséculaires revit le temps d'un concert muséal et d'une chronique éphémère.»
Il y a bien là matière à faire rêver les auditeurs, libres de s'imaginer entendre les échos d'une musique saharienne non pas «multiséculaire», mais multimillénaire.
Sauf que tout cela est très problématique.
Il est vrai qu'en 2014, les objets qu'on a appelés «22 lithophones néolithiques» ont été sortis des réserves du Musée de l'Homme, puis utilisés pour un «concert à l'âge de pierre», donné dans le grand amphithéâtre du Muséum et qui a connu un certain succès. Une vidéo du CNRS est toujours visible ici, dans laquelle Érik Gonthier, à l'initiative de tout ce bruissement, raconte comment il a eu «la grande révélation» de la fonction musicale de ces pierres. Il expose ensuite, en posant devant un microscope, que «l'usure des lithophones démontrerait qu'on jouait en martelant le centre des pierres il y a quatre à dix mille ans.» Cela laisse entendre qu'une étude tracéologique aurait démontré leur fonction musicale. Comment se fait-il donc qu'il n'existe aucune publication documentant cette affirmation? Affirmation dont la seconde partie est plus que discutable, dans la mesure où ces pièces ne sont en réalité pas datées.
Les musiciens de l'orchestre national de France tapant à qui mieux mieux sur des objets néolithiques sortis des réserves du Musée de l'Homme, et qui n'en peuvent mais (extrait d'un film diffusé par le CNRS).
L'évènement a beaucoup plu. Le Parisien a titré à son propos: Cet orchestre joue de la musique préhistorique, et ce journal rapporte que «De la musique préhistorique a résonné lors d'un concert unique au Muséum.» Ce n'était évidemment pas de la musique préhistorique, mais l'essentiel n'est-il pas de faire du bruit?
Admettons que le résultat puisse être jugé intéressant du point de vue musical (c'est une affaire de goût). Cela n'empêche que rien, absolument rien ne permet d'affirmer que ces objets auraient formé un lithophone au Néolithique. Il existe une abondante littérature scientifique, d'une part sur les objets du type utilisé dans ce concert et que les (vrais) spécialistes appellent «rondins de pierre», d'autre part sur d'authentiques lithophones préhistoriques découverts dans des conditions de fouilles irréprochables.
Or ces véritables lithophones sont composés de plusieurs pierres accordées. Le plus célèbre est celui découvert en 1949 à Ndut Lient Krak (Vietnam) par Georges Condominas:
Le lithophone découvert à Ndut Lient Krak au Vietnam
(d'après Geneviève Dournon 1982).
Etudié d'abord par André Schaeffner (1951), il a été revu par Trân Văn Khê (1982), qui le pense vieux de 2500 à 3000 ans, mais d'autres auteurs pensent qu'il serait beaucoup plus récent. Plusieurs ensembles comparables ont été trouvés par la suite, par exemple à Bboon Bördee, également au Vietnam en 1958. On connaît actuellement dans ce pays au moins deux cents pierres rapportées à de tels lithophones. En 1979, un ensemble de douze pierres, qui avaient été trouvées par un enfant en 1942, fut offert au musée de Khan Hoa. Détail intéressant: les Raglai (nom que se donne la communauté locale) n'utilisent pas ces pierres pour faire de la musique, mais pour protéger les récoltes en éloignant les animaux par la production de sons aléatoires. À cet effet, les pierres sont disposées sur un cadre de bambou, et elles sont frappées par un battant qu'anime le vent ou le courant d'une rivière. Preuve que ce n'est pas parce qu'une série de pierres taillées peuvent produire des sons qu'il s'agit forcément d'un instrument de musique!
Le lithophone du Musée de Khan Hoa, au Vietnam.
Les découvertes sont trop nombreuses pour être toutes mentionnées (voir ici, et Trần Văn Khê 1982), mais il est à noter qu'en 2003, un lithophone composé de vingt lames de pierres a été trouvé dans le village de Bo Ne, en la province de Lam Dong, toujours au Vietnam, où ce type d'instrument, appelé Đàn Ɖá, a connu ces dernières années un fort regain d'intérêt. On en connaît également du Cambodge, où l'un d'eux est doté de 1240 avant l'ère commune (Coe 2003: 52).
S'agissant maintenant desdits «rondins de pierre» sahariens, ainsi que Marceau Gast a proposé de les appeler en 1965, leur provenance précise est le plus souvent inconnue. Ceux qui se trouvent dans les musées ont été ramassés en surface par des voyageurs qui les ont récoltés sans grand souci de les contextualiser. Ils sont fréquemment vendus par des trafiquants, et achetés par des collectionneurs qui recherchent avant tout de «beaux objets» sans trop se préoccuper d'enrichir nos connaissances archéologiques. De tels «rouleaux» (comme on les a aussi appelés) sont régulièrement proposés par divers margoulins sur plusieurs sites de vente en ligne.
Exemple de «rondin de pierre» en vente sur l'Internet.
Marceau Gast refusait de croire qu'ils auraient pu être employés comme pilons: il s'agirait selon lui d'objets trop rares pour avoir connu un tel usage, et de plus, ceux qu'il a examinés pour son article de 1965 ne lui ont paru montrer aucun stigmate d'emploi. Une dizaine d'années plus tard, Ginette Aumassip a revu les mêmes 31 objets qu'il avait étudiés, et qui sont conservés au Musée du Bardo à Alger, et elle a pu observer que ces pièces sont «particulièrement éolisées». Même sur les objets entiers bien conservés, il est très «difficile de dire si les traces subsistantes sont des traces d'emploi ou de bouchardage.»
L'absence de traces significatives ou clairement interprétables, due à la corrasion et à l'éolisation, comme aussi l'absence de contexte archéologique, qui est malheureusement générale pour ce type d'objet, accentuent le caractère hypothétique des interprétations. Celles-ci sont multiples, allant de simple pilon à «objet culturel» énigmatique — appellation qui n'est souvent que le masque de l'ignorance des archéologues. Alfred Muzzolini (1993: 237) et Mark Milburn (1986, 1989, 1995) se sont opposés quant à la possibilité d'y voir des socs d'araires (ou bien des houes), qui est réelle, mais n'est sérieusement envisageable que pour les pièces à extrémité pointues ou en biseau.
Différences des traces observables sur un rondin de pierre (en haut) et sur un probable soc d'araire en pierre (en bas)
(d'après Milburn 1995, fig. 1 et 2).
Une autre fonction possible est celle de piliers de greniers. Cette idée peut surprendre, mais elle a été très sérieusement envisagée par Alain Rodrigue pour huit objets du site de Famm el-Ḥisn (Fam el Hisn), signalés par Gebhart Blazek sur une ride dominant le lit de l'oued Tamanart au Maroc. Là, ces blocs taillés ont été d'abord interprétés comme «lithophones» sous l'influence des publications d'Érik Gonthier, mais Alain Rodrigue, considérant cette hypothèse comme «irréaliste», les a rapprochés des piliers connus dans les villages néolithiques de Tichitt et Ouallata, en Mauritanie, où, le plus souvent, ils sont encore fichés dans le sol. Sylvie Amblard-Pison décrit des derniers en ces termes:
«Les piliers […] ont une section rectangulaire, voire carrée ou polygonale (piliers à six faces). D'allure élancée, il sont relativement fins, de 10 à 20 cm d'épaisseur moyenne. Les faces les plus larges, qui ont nécessité le moins d'aménagements, présentent peu d'aspérités en surface, contrairement aux faces latérales qui portent de multiples et grands enlèvements» (Amblard-Pison 1996).
Piliers alignés alignés pour servir de base à un grenier, dans les villages néolithiques de Tichitt-Ouallata (D'après Amblard-Pison 1996: fig. 1).
La similitude des objets de Mauritanie et du Maroc, leur regroupement sur une surface de quelques mètres carrés, le fait que trois des spécimens marocains sont alignés et que plus de la moitié d'entre eux sont soit épointés à une extrémité, soit naturellement pointus, «nous amènent à la conclusion que les éléments découverts à Fam el Hisn, élaborés rigoureusement suivant la même méthode et possédant des paramètres identiques à ceux de Tichitt-Ouallata, sont des piliers de greniers» (Rodrigue & Blazek 2018: 132).
Les piliers de greniers de Fam el-Ḥisn au Maroc (d'après Rodrigue & Blazek 2019, fig. 2 à 5).
Cette hypothèse paraît d'autant plus intéressante que tous les objets du Musée de L'Homme utilisés pour le concert organisé en 2014 ne sont pas des cylindres régulièrement bouchardés ou polis. Il en est qui présentent les mêmes caractéristiques technologiques et formelles que les piliers identifiés par Alain Rodrigue. Cela n'en fait pas nécessairement des piliers de greniers, mais rien n'oblige non plus à les considérer comme des lithophones, même s'ils peuvent éventuellement être utilisés ainsi.
Sur cette saisie d'écran de la captation du concert de 2014 utilisant des pièces alors conservées au Musée de l'Homme, on voit que deux d'entre elles sont tout à fait semblables aux piliers de greniers du Maroc et de Mauritanie.
En général, ces objets sont assez légers, facilement transportables, et, en l'absence d'autres informations, leur lieu de découverte n'est pas forcément très significatif. On en a trouvé principalement en Algérie, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Sahara occidental, Tchad. Jean-Pierre Savary (1965) a signalé un exemplaire provenant de de la Tadrart algérienne et qui «est muni sur deux faces opposées d'une série de cupules qui sont inexplicables, mais qui indiquent que l'objet était certainement autre chose qu'un pilon».On voit mal à quoi ces cupules auraient pu servir sur un lithophone.
Extrémité d'un rondin de pierre provenant de la Tadrart algérienne, et portant deux séries de cupules
(d'après Savary 1965, Fig. 2, n° 3).
Marceau Gast refusait d'y voir des pilons, car, selon lui, de tels objets de pierre n'auraient pu qu'endommager ou même briser les mortiers associés, qui ne pouvaient être qu'en bois. Le caractère spécieux de cet argument saute aux yeux quand on le confronte aux témoignages ethnologiques. Ainsi, le Dr. Bruna-Rosso, Paul Huard et Jean-Marie Massip on rapporté en 1968 qu'«à Gouro, le capitaine Simon, de la mission Dalloni, recueillit un important fragment de grand pilon de basalte noir celluleux pesant 785 grammes, de section ronde, à l'extrémité effilée en pointe, semblable aux pilons de pierre qui servaient naguère, au Soudan français, à écraser des graines au mortier». Ces mêmes auteurs estimaient que «ces pièces sont effectivement des pilons, et leurs biseaux intacts donnent à croire qu'ils ont servi avec des mortiers de bois, dans une région où les mortiers de pierre sont exceptionnels, mais où les outils de pierre polie abondent. Ces lourds pilons, pouvant peser 5 ou 6 kilos, devaient servir à concasser des matières dures, comme les noix du palmier doum (Hyphaene thebaïca), dont on tire une décoction sucrée et qui, broyées, sont un aliment de disette pour l'homme du Tibesti et une nourriture normale pour les chèvres, au même titre que les noyaux de dattes.»
En 1974, Ginette Aumassip, Guy Trécolle et P. Vimont-Vicary ont fait connaître un exemplaire remarquable, réputé avoir été découvert dans la région de Tamγit (Tasīli-n-Ăjjer), et orné sur toute sa longueur de gravures qui représentent un anthropomorphe, deux sauriens, un serpent, une autruche et un chameau.
Le rondin de pierre gravé de Tamγit (Tasīli-n-Ăjjer).
Cet objet est l'un des rares à avoir été examinés par des chercheurs compétents. Sa matière a pu être analysée: c'est un grès cambro-ordovicien, c'est-à-dire qu'il a été confectionné dans une roche locale. Jacques Tixier, dont tous les préhistoriens connaissent le nom pour sa Typologie de l'Épipaléolithique du Maghreb et qui fut un grand pionnier des études d'archéologie expérimentale en France, a étudié les empreintes, ponctuations, écrasements et stries visibles à ses deux extrémités: il s'agit de traces d'emploi qui résultent, sans le moindre doute, de l'écrasement de graines.
Du reste, dans l'article même où il cherchait à réfuter un usage trivial, quotidien, de ces objets, Marceau Gast a publié la photographie d'une femme targuie d'Idélès occupée à piler des noyaux de dattes pour nourrir ses chèvres. Pour ce faire, elle utilisait… un «rondin de pierre» brisé. Et la technique qu'elle adoptait rendait tout mortier superflu: nouvelle raison de rejeter l'argument selon lequel un pilon de pierre ne saurait que briser un mortier de bois.
Femme d'Idélès (Ahaggar) pilant des noyaux de dattes avec un fragment de rondin de pierre. Les chiffons disposés en cercle sur une pierre retiennent les noyaux et empêchent les éclats de sauter dans toutes les directions.
(d'après Gast 1965, Fig. 17).
Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que nombre d'objets préhistoriques ont été récupérés à toute époque par des nomades pour les réutiliser à leurs propres fins. C'est particulièrement le cas des meules et molettes néolithiques, mais ce l'est aussi des «rondins de pierre.» Ainsi, le Dr. Ballet a signalé qu'au début du vingtième siècle, en Mauritanie, certains allaient chercher de tels objets dans l'Adrar. Lors de la séance du 28 octobre 1909 de la Société préhistorique de France, il a présenté à ses collègues un «rouleau […] en schiste quartzeux très dense», long de 41cm et poli à chaque extrémité, et qui se trouvait sur une tombe, dans un cimetière musulman de Trarza. D'autres de ces objets ont également été réutilisés par les Touareg comme marteau à sucre (Milburn 1984: 429): oserait-on pour autant généraliser cette observation pour décréter que tous les rondins de pierres auraient été destinés à cet usage? Il va de soi que de telles réutilisations n'autorisent aucunement à conclure que tous les «rondins de pierre» seraient des offrandes funéraires ou des marteaux à sucre. Tirer une telle conclusion serait tout aussi absurde que celle consistant à déduire qu'ils auraient été des instruments de musique en se basant sur leur réutilisation musicale récente, même si celle-ci a fait… grand bruit.
Il convient également de noter que la typologie de ces objets est très imprécise, et que les travaux publiés regroupent sous la même appellation générique des pièces qui peuvent être de formes, de dimensions et de modules très différents. Il est également à craindre que la très grande majorité de ceux qui ont été «récoltés» à diverses époques se trouve actuellement dans des collections privées. Outre celles du Musée du Bardo et du Musée de l'Homme, j'en connais au moins une autre, largement aussi importante, qui a été léguée à un musée par un donateur privé, mais où les pièces — certaines exceptionnelles — ne sont pas précisément localisées.
Rondins de pierre conservés dans des collections privées
(d'après Klenkler et al. 2016).
Certains ensembles sortent parfois de l'ombre au hasard de publications comme les livres d'Eckhard Klenkler, qui présentent de magnifiques photographies d'objets archéologiques résultant tout simplement d'un pillage systématique opéré au Sahara pendant des décennies (voir à ce propos Le Quellec & Vernet 2017).
Rondins de pierre conservés dans des collections privées
(d'après Klenkler et al. 2016).
Il en résulte qu'il serait bien naïf de se prétendre capable de donner une seule et unique explication à des objets si divers et si mal connus, en ne se basant que sur les seuls à être conservés au Musée de l'Homme! Incidemment, on peut mesurer la faiblesse d'un autre des arguments avancés par Marceau Gast: la rareté de ces «instruments» serait un bon indice de leur caractère cérémoniel et prestigieux. Cette affirmation tombe dès que l'on sait que cette rareté ne concerne en réalité que la représentation de ces pièces dans les musées. En réalité, il s'en est vendu bien plus sur l'Internet ces dernières années que les musées parisiens et algérois n'en conserveront probablement jamais. Et cette situation est bien entendu consternante.
Malgré ces difficultés, l'hypothèse musicale a connu un immense succès, et divers auteurs l'ont adoptée sans le moindre recul critique. Michel Barbaza a «reconnu» un «lithophone» dans un rondin de pierre de l'Adrar n'Metgourine (Maroc) ensuite publié avec deux autres objets semblables par Mohssine el-Graoui et Susan Searight-Martinet, qui proposent d'y voir «une sorte de balafon en pierre» (2008: 127). En 2013, Duncan Caldwell, dont tout l'argumentaire se borne à répéter les affirmations de Marceau Gast (qui avait tendance à voir de la litholâtrie partout — cf. Le Quellec 2018b), a publié des objets de Nouvelle-Angleterre qu'il interprète de la même façon. En 2018, Marilyn Martorano, explicitement inspirée par la démarche d'Erik Gonthier, a réuni artificiellement vingt-deux rondins de pierre provenant de divers sites du Colorado, pour en faire un lithophone qui, en réalité n'a jamais existé avant son intervention (Martorano 2018).
Il en est de même pour le «lithophone» saharien qui a fait les délices des médias: il est lui aussi composé de pièces extrêmement disparates, provenant de plusieurs pays, dénuées de tout contexte archéologique et ne bénéficiant d'aucune indication chronologique — rien ne prouvant donc la contemporanéité de tous ses composants.
Il vaut la peine d'examiner de près l'unique article où Erik Gonthier s'est associé à Tran Quang Hai pour conduire une étude qui ressemble davantage à un travail scientifique que ses autres publications sur ce sujet. Hélas, on constate très vite que, dans cette publication supposée faire référence, l'unique appui de la partie intitulée «historique de la recherche» est l'article publié par Marceau Gast en 1965, et dont on a vu les faiblesses. Le gros de la publication consiste en une longue analyse des propriétés sonores des objets, multipliant les signaux de scientificités: schémas complexes et jargon de spécialiste sont convoqués avec une visible gourmandise.
Schéma extrait de Gonthier et Tran Quand Hai 2011: si ça ne prouve rien, au moins ça ne peut pas faire de mal.
TNulle part on ne trouve de démonstration de cette interprétation, qui n'est qu'un postulat initial et ne constitue en aucun cas la conclusion d'une démonstration… qu'on attend toujours.
Présenter cette idée comme une hypothèse n'aurait pas posé le moindre problème, mais cela fait maintenant dix-sept ans qu'elle est répétée comme si elle était avérée, alors qu'elle n'a toujours pas reçu le moindre embryon de démonstration. C'est juste une idée «comme ça», qui a eu l'heure de croiser l'intérêt du grand public pour la musique préhistorique en lui faisant croire qu'une remarquable découverte avait été faite à ce sujet, ce qui est tout simplement faux.
Le plus triste, dans cette histoire, c'est que même le Muséum s'engouffre dans ce créneau de communication. Il n'y a pourtant pas de quoi être fier. Pour illustrer (et aucunement démontrer) son hypothèse, quelqu'un a donc cru bon de sortir des réserves du Musée de l'Homme des pièces uniques afin de les frapper avec de petits maillets, en contrevenant à toutes les règles de conservation et en dépit de toute démarche scientifique. Nul doute que les premiers maîtres de l'expérimentation archéologique, qui nous ont appris à travailler sur des copies réalisées avec les techniques de l'époque et selon des protocoles précis, ont dû se retourner dans leur tombe. Au moment où a germé l'ahurissante idée de produire un concert public avec ces pièces originales, Claire Gaillard, alors responsable des collections de préhistoire du Musée de l'Homme, s'y est opposée à juste titre. Elle a publiquement pris position contre cette hérésie, comme en témoigne cette entrevue publiée par le journal Le Monde du 24 mars 2014, à l'occasion du fameux concert donné dans l'amphithéâtre du Muséum :
Elle a baissé les bras, en effet, car Erik Gonthier avait déjà tapoté ces objets depuis pas mal de temps, et le mal était déjà fait. La lassitude de Claire Gaillard peut donc se comprendre… Une erreur aussi, c'est toujours possible, et cela peut toujours s'avouer, à défaut, ici, de pouvoir se corriger. Ce qui ne peut se comprendre, par contre, c'est que le Muséum national d'Histoire naturelle — le Mu.sé.um! — continue de soutenir de telles balivernes en s'en déclarant partenaire.
Pour finir, je m'en voudrais de ne pas vous faire part d'une découverte sensationnelle et toute récente. Il s'agit d'un exceptionnel ensemble de quinze artefacts mis au jour sur le site de Briko Ramah et formant un métallophone qui, en première estimation, semble remonter au début du vingtième siècle de l'ère commune. Sans vouloir anticiper sur le résultat d'études actuellement en cours, il apparaît que les premières mesures acoustiques préliminaires effectuées au laboratoire d'Ethnomusicologie de l'Institut de blingblingologie appliquée, grâce à un schploïnkographe modèle 6500B8 de dernière génération, ont d'ores et déjà montré que ces objets produisent des notes fondamentales couvrant deux octaves, et il n'y a plus de doute possible sur leurs qualités sonores. Les recherches se poursuivent pour élucider les raisons de la forme symbolique des extrémités de ces artefacts, car elle ne paraît pas être liée à leurs propriétés métallo-acoustiques, et elle devait donc être associée à la fonction rituelle de ces magnifiques objets de prestige.