Actualité du nazisme ?

Une très salutaire déconstruction d'un mythe contemporain, avec la mise au jour de ses sources trop souvent oubliées.
MystèreNazisme
Stéphane François vient de publier un livre sur Les mystères du nazisme. Le visiteur pressé des librairies, qui ne prêterait pas attention au sous-titre de ce livre-ci («aux sources d'un fantasme contemporain») pourrait croire qu'il s'agit d'un de ces innombrables ouvrages dont les auteurs ont pour principale motivation de chercher à s'enrichir en ressassant le mêmes poncifs éculés sur le symbolisme de la svastika, la confrérie du Vril et la société Thulé, les théories de la «terre creuse» (elles-mêmes d'une grande vacuité!), la recherche de l'Atlantide dans le Grand Nord, les traces laissées par les Hyperboréens au Tibet, le culte de Wotan, etc. Certes, il s'agit bien de ces sujets, et de beaucoup d'autres encore, mais l'approche est ici archéologique et mythologique à la fois: Stéphane François creuse tout d'abord les sources historiques, dont il est un excellent connaisseur, pour y retrouver l'origine de ces thèmes et en retracer l'histoire depuis le dix-neuvième siècle (avec le mouvement völkish), puis il poursuit l'enquête jusqu'à nos jours pour mettre en lumière leurs avatars dans des productions parascientifiques, littéraires ou artistiques des plus actuelles.

C'est alors à très juste titre qu'il parle de mythes et de «mythèmes», dont la recomposition n'a jamais cessé. D'une plume alerte, il montre bien que tous ces mythèmes concourent à forger une vision du monde qui se dit au travers de nombreux récits — romans, films, bandes dessinées —, c'est-à-dire de «mythes» au sens étymologique du terme (μύθοι «récits»). S'agissant donc de mythologie, ces récits ne sont pas anodins: comme tous les mythes, ils ont, entre autres fonctions, celle de justifier la cosmogonie qu'ils véhiculent explicitement ou non.

Les mythes développant le thème des mystères du nazisme ne sont certes pas sans rapport avec le réel, car certains occultistes comme
Karl Maria Wiligut cherchèrent effectivement a développer un syncrétisme mystique nazi recyclant tout un bric-à-brac folklorique, archéologique et mythologique. Wiligut fut l'un des conseillers de Himmler en ces domaines, lequel Himmler cherchait à officialiser ce bricolage (au sens lévi-straussien) en inventant une religion néogermanique païenne artificiellement reconstruite à partir d'une sélection de données archéologiques surinterprétées.

Stéphane François met parfaitement en lumière les croisements — parfois funestes — de l'histoire et de la mythologie, que plusieurs auteurs de science-fiction — ou plutôt d'histoire-fiction — ont utilisés à des fins pas toujours uniquement littéraires. Ainsi en est-il de la légende des «
soucoupes volantes nazies», et mieux encore des thèses affirmant qu'Hitler se serait enfui en soucoupe volante pour se réfugier en Antarctique ou en Argentine: ces récits combinent le mythe contemporain des soucoupes volantes avec celui, autrement plus ancien, du «souverain caché».

Tout cela participe d'une mythologisation de certains responsables nazis et du nazisme lui-même, en grand partie imputable au succès du
Matin des Magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier, suivi de la revue Planète, comme des éditions et du «mouvement» du même nom. Le Matin des Magiciens constitue lui-même un excellent exemple de bricolage à partir d'éléments récupérés sans grand sens critique (ou cum grano salis dans le cas de Jacques Bergier), et compilés pour présenter une vision du monde que ses auteurs dénommèrent «réalisme fantastique».


Extrait d'une table ronde réunissant Jean-Yves Camus, Christian Bouchet, Stéphane François et Jean Solis qui évoquent le contenu et l'influence du Matin des Magiciens.


Ils ont ainsi pavé une voie déjà ouverte mais alors un peu oubliée, qu'empruntent maintenant aussi bien des théoriciens des droites radicales que des
New Agers écologistes, ni les uns ni les autres n'étant très regardants sur leurs sources. Sont ainsi élaborées des cosmogonies que leurs auteurs font volontiers contraster avec ce qu'ils appellent les «théories officielles», c'est-à-dire celles qui sont élaborées au sein de l'Université, ou par des chercheurs professionnels aussitôt suspectés de vouloir cacher la vérité courageusement mise au jour par une poignée d'investigateurs indépendants. De là aux thèses complotistes, il n'y a qu'un pas.

Ce courant a favorisé la multiplication des livres d'«histoire mystérieuse», plusieurs éditeurs créant même des collections spéciales pour accueillir cette manne d'ouvrage à très grand tirage dans les années 1970. Cette production a moins de succès aujourd'hui, mais ses thèmes se retrouvent maintenant sur internet, au cinéma, dans les jeux vidéos et les bandes dessinées… autant d'excellents moyens utilisés par ceux qui souhaitent véhiculer, par exemple sur
FaceBook, des conceptions antidémocratiques et racistes puisant largement dans le terreau idéologique de l'extrême droite, quand elles ne sont pas nettement néonazies.

Autant de choses qu'il vaut mieux savoir en allant voir
Les Aventuriers de l'Arche Perdue ou La Dernière Croisade, dans la série des Indiana Jones: l'un des modèles d'Indy l'archéologue-aventurier est le SS Otto Rahn, qui cherchait les vestiges du Saint Graal dans la région de Montségur (ainsi que je l'ai rappelé dans Des Martiens au Sahara).

Le livre de Stéphane François illustre parfaitement les raisons pour lesquelles il est si important de favoriser la diffusion des savoirs et des outils de la mythologie comme science (la précision est nécessaire, puisque le même mot sert à désigner cette science et son objet). En effet, ces acquis et ces outils facilitent la déconstruction des agrégats de mythèmes saturant nombre de discours actuels. Avec leur aide, il est possible de dévoiler leurs sources et leurs sous-entendus, ce qui permet enfin de s'en prémunir.














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