Encore les tables de la loi
Des tables de la loi trouvées au Sinaï, en Bretagne et en Afrique du Sud ? Par pitié, n'en jetez plus !
Une aimable correspondante, Thérèse Guiot-Houart, s'est insurgée devant mon scepticisme, et m'a écrit: "qui ne penserait aux tables de la loi devant la gravure découverte par Anati? Si vous n’y pensez pas, c’est bien la preuve que vous êtes vous-même complètement ignare."
Cette sympathique remarque m'a conduit à revoir cette image, et je crois qu'on pourrait tout aussi bien y reconnaître un parcellaire, comme le font souvent les rupestrologues pour ce type de gravure, ou bien le hiéroglyphe de la montagne, ou bien tout ce que vous voudrez.
Mais les tables de la loi ?
Il me semble que cette identification est surtout due au fait que ce graphisme a une forme quadrangulaire surmontée de deux protubérances arrondie, ce qui correspond à l'image traditionnelle des "tables de la loi". Cette image est celle qu'ont popularisée les artistes, tel Raphaël dans son tableau "Moïse recevant la tables des lois" (ci-dessous).
Ou encore Chagall :
L'image est tellement populaire que, pour quelques dollars, vous pouvez acquérir une magnifique "reproduction" desdites tables, pour orner votre pelouse:
Si c'est cela, alors j'ai un scoop.
En réalité, les "tables de la loi" sont à Ploumanac'h en Bretagne, ainsi que le prouve cette photo prise par Ian Walker en 2004 :
Evidemment, ce qui ne va pas, dans cette histoire, c'est que cette forme traditionnellement prêtée auxdites "tables" ne l'est que récemment et localement.
Certes cette forme a été très popularisée par ses nombreuses représentations dans les temples réformés avant la révocation de l'édit de Nantes (de beaux exemples sont visibles sur le site du Musée Virtuel du Protestantisme Français). L'image de l'écriture rupestre du décalogue sur deux blocs arrondis en haut a été on ne peut plus diffusée par le film de Cécil B. de Mille, tourné en 1956. On se souvient notamment de la belle figure de Charlton Heston, dans le rôle d'un Moïse dont, faut-il le préciser, rien ne prouve l'existence historique:
Or il se trouve que dans un manuscrit éthiopien de 1700, conservé à l'Österreichische Nationalbibliothek de Vienne (cod. äthiop. 25 f. 3v), elles ont la forme d'un livre ordinaire:
Pas besoin d'aller si loin, du reste : en 1663, Philippe de Champaigne a lui aussi peint un "Moïse présentant les tables de la loi", où elles ont une forme tout simplement rectangulaire:
C'était déjà le cas sur une miniature de la première Bible de Charles le Chauve (IXe siècle) conservée à la BNF:
Bref : rien ne peut permettre d'affirmer que les tables de la loi avaient telle forme plutôt que telle autre, et les artistes les représentent de deux manières différentes.
Je ne sais si l'histoire de cette image a été faite, et sinon, il serait très utile qu'un historien s'y colle. En première approche, il semble bien que l'image utilisée par Anati pour affirmer qu'il aurait découvert ce qui serait la plus ancienne représentation connue du décalogue (quasiment contemporaine de l'original mythique !), que cette image, donc, est étonnamment conforme à l'idée que notre culture s'en fait maintenant.
Comme l'arche de Noé, les tables de la loi ont fait rêver bien des découvreurs de secrets enfouis.
Ainsi de Credo Mutwa, qui se présente lui-même comme un grand initié Zulu qui aurait été en possession d'objets antiquissimes des plus précieux, trouvés en Afrique du Sud (sur lesquels voir ici).
Parmi ces pièces, se trouvait, je vous le donne en mille… les tables de la loi !
Comme me le faisait si gentiment remarquer Thérèse Guiot-Houart à propos du document d'Anati, il faudrait être "ignare" pour ne pas voir la ressemblance.
Et pour cause !
JLLQ