Un petit amusement avec DStretch en temps de confinement

Le greffon DStretch, destiné à rendre clairement visibles des détails d'images rupestres qu'on ne distingue que mal (ou pas du tout) sur les parois, peut avoir d'autres applications…

DStretch® est un greffon (plugin en globish) utilisable avec le logiciel ImageJ, qui est une alternative gratuite à Photoshop© et surtout un standard du traitement d'image scientifique. DStretch® a été conçu en 2005 par Jonathan Harman, qui le distribue. Je l'ai fait connaître en France l'année suivante, lors d'une réunion de l'AARS, et il est maintenant très largement utilisé par les spécialistes d'art rupestre.

Cependant, il a également servi à d'autres fins. Il a notamment permis de découvrir des peintures inconnues à Angkor Vat (Tan
et al. 2014) et d'étudier la propagation des craquelures sur des céramiques chinoises anciennes (Lahlil & Ming Xu 2013).

En 2013, avec son concepteur Jon Harman, Frédérique Duquesnoy, Claudia Defrasne et moi-même avons proposé un code de bonne conduite en matière de traitement d'image pour les publications scientifiques sur l'art rupestre, avec trois nécessités:

  • 1 - ne jamais ajouter de nouveaux pixels sur une photographie;

  • 2 - toujours documenter la procédure suivie;

  • 3 - toujours publier la photographie de départ près de celle qui a été modifiée, suivant la recommandation précédemment édictée par Liam Brady et ses collaborateurs (2012: 632).

En 2015, nous avons traduit cette charte en anglais dans une revue se spécialisant sur les applications numériques en matière d'archéologie. Il s'agissait d'une part de minimiser les risques d'interprétation excessive et d'éviter les relevés tendancieux obtenus par des modifications manuelles allant dans le sens des thèses défendues par les analystes, et d'autre part de permettre aux sceptiques éventuels de dupliquer et vérifier les résultats publiés.

Dans cet esprit, nous sommes quelques-uns à régulièrement tester des images publiées, du moins quand elles le sont dans une définition suffisante. En effet, certaines publications comportent des images brutes qu'il est toujours intéressant d'essayer de traiter selon différents procédés, juste «pour voir». Il en résulte parfois d'heureuses surprises.

Et parfois de moins heureuses.

Quittant le monde de l'art rupestre, j'ai extrait, d'un article accessible sur le Net, la figure suivante, partie d'un ensemble destiné à illustrer, par des photographies au microscope, le résultat d'un inhibiteur sur des cellules vivantes:

meconi2001

Juste «pour voir», j'ai opéré sur cette illustration un traitement DStetch_LYE-AC, dont voici le résultat:

meconi2001_lye_ac


Dans «DStetch_LYE-AC», le suffixe indique quel traitement a été appliqué, ce qui permet à quiconque d'en vérifier le résultat.

Il suffit pour cela d'ouvrir l'image dans DStretch, de cliquer sur la touche LYE (qui active la décorrélation pour l
'espace colorimétrique LYE), puis sur celle qui opère l'équilibrage automatique des contrastes:

Capture d’écran 2020-03-26 à 22.19.18


Essayez, vous verrez !

Une chose étrange devient alors clairement visible: deux des cellules se trouvent dans un cadre d'une autre texture que le fond de l'ensemble, et d'une teinte plus claire en moyenne. Pour bien préciser les choses, ce cadre fantôme est ici encadré en rouge sur la photo de droite:

meconi2001_lye_ac copie


Je suis complètement inculte en la matière dont traite l'article en question, mais je me demande bien par quel processus naturel certaines cellules observées sous un microscope peuvent se retrouver dans un carré très net, aux angles bien droits, aux côtés parfaitement rectilignes, et pas leurs voisines.

C'est drôle: on jurerait que quelqu'un, qui serait loin d'être un virtuose de Photoshop, les aurait ajoutées manuellement sur la photo de base!

Bien sûr, jamais je n'irais imaginer une telle manipulation, surtout de la part d'auteurs réputés.

Ah oui, j'ai oublié de vous dire: cet article, accessible
ici, est cosigné par Didier Raoult (Meconi et al. 2001).

Bibliographie:

Brady Liam M., Robert G. Gunn, Jo McDonald, & Peter Veth 2012. «Digital Enhancement of Deteriorated and Superimposed Pigment Art: Methods and Case StudiesIn: Jo McDonald, & Peter Veth, A companion to rock art, Oxford: Blackwell, p. 627-643.

Lahlil Sophia, & Ji Ming Xu 2013.
«Crack patterns morphology of ancient Chinese waresThe Old Potter’s Almanack 18(1): 1-9.

Le Quellec Jean-Loïc, Jon Harman, Claudia Defrasne, & Frédérique Duquesnoy 2013. «
DStretch® et l’amélioration des images numériques: applications à l’archéologie des images rupestresLes Cahiers de l’AARS 16: 177-198.

Le Quellec Jean-Loïc, Frédérique Duquesnoy, & Claudia Defrasne 2015. «Digital image enhancement with DStretch: Is complexity always necessary for efficiency?» Digital Applications in Archaeology and Cultural Heritage 2(2-3): 55-67.

Meconi, S., Capo, C., Remacle-Bonnet, M., Pommier, G., Raoult, D., & Mege, J.-L. (2001). Activation of Protein Tyrosine Kinases by Coxiella burnetii: Role in Actin Cytoskeleton Reorganization and Bacterial Phagocytosis. Infection and Immunity, 69(4), 2520–2526.

Tan Noel Hidalgo, Im Sokrithy, Heng Than, & Khieu Chan 2014. «The hidden paintings of Angkor Wat.» Antiquity 88: 549-565.