Une grave accusation contre des chercheurs français?

Une grave accusation vient d’être lancée contre des chercheurs français, sur la base d’un argumentaire d’une insigne faiblesse.

Un article du site Le360 lance une grave accusation, selon laquelle « une équipe de chercheurs français » se serait livrée au pillage de « fresques » préhistoriques. L’auteur de cette brève, immédiatement reprise sur les réseaux sociaux, affirme tenir son information du quotidien arabophone Al Massae qui, dans son édition du 17 janvier, aurait lui-même cité « des acteurs de la société civile et des chercheurs en archéologie ». Il est déjà étonnant que ces « acteurs » et « chercheurs » soient anonymes, mais le pire est que, à en juger par l’article de Le360, ces chercheurs français indélicats « se seraient trahis en répertoriant les fresques volées dans leurs publications ».

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Il serait facile d’ironiser sur la bien piètre intelligence, et même l’incroyable stupidité, de « chercheurs » qui publieraient les « fresques » qu’ils auraient eux-mêmes volées, et il serait non moins facile de rappeler à l’auteur de cet article qu’il ne s’agit pas du tout de « fresques », mais de gravures rupestres.

Le plus important est que l’argumentaire utilisé pour soupçonner ces chercheurs est encore plus stupide. Du seul fait qu’un auteur aurait publié des gravures rupestres qu’on ne pourrait retrouver sur le site d’origine parce qu’elles y furent ensuite volées, devrait-on déduire que c’est lui le coupable? Avec un raisonnement de ce niveau, on pourrait tout aussi bien insinuer que les gravures publiées par Marion Senones et Odette du Puigaudeau de la fin des années 1930 au début des années 1950 (1) auraient été volées par elles, puisqu’il est souvent devenu impossible de les observer sur place, par suite des dégradations commises au cours des décennies! Ceci serait d’autant plus idiot que, dès 1960, Odette du Puigaudeau alertait déjà la communauté scientifique et les autorités sur les risques encourus par les pétroglyphes du Maroc. Elle signalait alors qu’un des sites qu’elle avait relevés en 1936 avait été détruit en 1968, et celui-ci n’est donc plus connu que par la documentation qu’elle avait patiemment réalisée.

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Très nombreux sont les exemples d’images rupestres qui ont été publiées par divers chercheurs, et qui, de la même manière, ont été ultérieurement vandalisées. Par exemple, des gravures du Mesāk libyen publiées en 1937 par Leo Frobenius sont maintenant marquées par des impacts de balles: en déduira-t-on que l’illustre anthropologue allemand les avait prises pour cible ? Au contraire, l’existence de sa publication est précieuse, car elle témoigne de l’état des sites avant leur endommagement. De même sont précieuses à cet égard les milliers de photographies prises non seulement par les trop rares chercheurs professionnels, mais par de très nombreux voyageurs, touristes et amateurs bénévoles.

Soit il existe des éléments factuels prouvant cette «
 opération de pillage de pétroglyphes orchestrée, dans la province de Tata, par des chercheurs français », et il importe alors de les publier au plus vite (car tous les chercheurs sérieux seront d’accord pour la dénoncer), soit cette dénonciation anonyme et fondée sur un faux argument ne relève que de la rumeur et de la diffamation, et alors chacun se réjouira de la voir démentie.


(1) Voir par exemple:




  • du Puigaudeau, O. & Senones, M., 1953, Gravures rupestres de l'Oued Tamanart (Sud Marocain), Bulletin de l'Institut Français d'Afrique Noire, 15(3), pp. 1242-61.


  • du Puigaudeau, O., 1969, L'art préhistorique du Maroc présaharien sera-t-il effacé ? Archéologia, 30, pp. 26-33.


Voir aussi:

Un trafiquant d’art rupestre condamné




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