Total, Dakar et l'archéologie sud-américaine

La compagnie TOTAL s’obstine à sponsoriser du grand n’importe quoi...

La compagnie TOTAL, dont l’altruisme est bien connu, a sponsorisé le 30e rallye Dakar et en fut «partenaire officiel». Sauf que cette fois, «Dakar», c’était en Amérique du Sud, ce qui laisse fortement douter de l’intelligence de la chose. Dans le dossier de presse aimablement distribué par la compagnie, les communicateurs au service de celle-ci nous assurent, dans un français laissant quelque peu à désirer, que «Total reste fidèle sur le Dakar à ses valeurs». Figurez-vous que la compagnie emploie un «coordinateur du rallye» répondant au nom de Jacques Schittenhelm, qui nous explique de son côté que la fidélité des pétroliers au Dakar «correspond bien aux valeurs de Total: le progrès et la technologie au service de tous.» Ceci se traduit dans les faits par l’attribution de 80 personnes sur le rallye et la distribution audit rallye de près de trois millions de litres de carburant. Vous avez bien lu: trois millions de litres. Que voulez-vous: quand on est passionné, et qu’on a des valeurs, on ne compte pas.

Comme bien on pense, tout ceci s’est déroulé dans le plus grand respect de l’environnement. Sur le
site officiel du Dakar, les organisateurs nous assurent qu’un bilan de leur action au Chili a été publié par la CONAMA (Comisión Nacional del Medio Ambiante), et que la conclusion de ce rapport «ne relève aucun dysfonctionnement.» En particulier, on peut lire dans ce document que tous les engagements ont été respectés «particulièrement en ce qui concerne le tracé de la course, pour que celui-ci ne traverse pas de secteurs protégés de manière officielle, ni des secteurs sensibles pour la biodiversité régionale.»

Alors là: bravo!

Sans doute que les responsables du Dakar n’ont pas renouvelé à temps leur abonnement aux principaux journaux chiliens, à moins qu’ils n’éprouvent des difficultés à lire l’espagnol, car la presse chilienne se fait largement l’écho d’un autre rapport, publié le 12 mars dernier par le CMN (Consejo de Monumentos Nacionales), et dans lequel on peut lire ceci:
«La inspección realizada en terreno constató la destrucción de al menos un sitio arqueológico y un significativo daño ambiental sobre los suelos, la vegetación y posiblemente la fauna.»
Je traduis à l’intention des non-hispanophones:
«l’inspection réalisée sur le terrain a constaté la destruction d’au moins un site archéologique, et un dommage environnemental significatif sur les sols, la végétation, et possiblement la faune.»

Le site archéologique en question est un campement de chasseurs-collecteurs précolombiens situé près de La Huiguera, à environ 400 km au nord de Santiago. La moitié de ce site a été détruite irrémédiablement.

Oscar Acuña, secrétaire du CMN, a précisé que l’inspection s’est déroulée sur 120 km du parcours effectué par le rallye, soit environ 10% du total (sans jeu de mots) ce qui laisse supposer que d’autres dommages pourraient être découverts sur le reste du trajet. Il a ajouté, détail intéressant, que les cartes dudit trajet, distribuées avant le rallye par les organisateurs pour une éventuelle expertise, étaient à une échelle interdisant d’avoir une idée exacte de l’impact archéologique réel
: «La cartografía que se nos envió en diciembre era de una escala que no permitía tener una clara definición del área».

Caldos Aldunate, directeur du Museo Chileno de Arte Precolumbino, a déclaré de son côté que ces faits étaient «gravissimes», et que cette destruction de site tombait sous le coup de la loi 17.288 de protection du patrimoine.

Cela commence à faire du bruit dans le pays.

Et ailleurs. Par exemple, en Espagne, le journal
el País a titré: « El desastre archeológico del Dakar.» Même sans être très fort en espagnol, on comprend.
Du coup, on apprend également,
ici, et de l’aveu de la CONAMA elle-même, pourtant supposée dédouaner les organisateurs, que d’autres dommages ont été constatés dans le désert de l’Atacama, «donde vehículos atraversaron un área de interés científico de observatorios astrónomicos» («où les véhicules ont traversé une zone d’observatoires astronomiques intéressants pour la science» )... on sait que c’est dans le désert de l’Atacama que se trouvent certains des plus célèbres géoglyphes du monde, particulièrement fragiles et dont certains ont été interprétés, à tort ou à raison, comme d’anciens observatoires.


La presse nous apprend aussi que dans la région de Coquimbo, des véhicules ont déversé du carburant et du colorant jaune dans le lit d’une rivière.

Avant le départ du Rallye, Didier Gilles, directeur de Total Argentine, avait déclaré que le Dakar 2009 était à considérer comme «un levier pour faire croître considérablement notre notoriété.»

Eh bien, on peut dire que c’est réussi.

Encore bravo!

Et à l’année prochaine.

JLLQ

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