La préhistoire par les étoiles

La scène du puits de Lascaux suscite des interprétations astronomiques contradictoires.

Ce titre est celui qu'en 1926 le docteur Baudouin a donné à un ouvrage qui eut son heure de célébrité, et qui déchaîna bien des polémiques, mais qui est tenu maintenant pour un tissu d'élucubrations sans intérêt. Pourtant, certains persistent encore actuellement à trouver dans l'art rupestre d'anciennes cartes du ciel, voire même "les plus anciennes cartes célestes du monde" — à l'instar de ceux qui, eux, y cherchent les plus anciens planisphères du monde. Il en est même qui pensent pouvoir dater avec précision dolmens, menhirs ou groupes de cupules en faisant appel à des considérations astronomiques plus ou moins complexes -- notamment l'inévitable précession des équinoxes. Le record de la précision en la matière (précision de la date obtenue, et non précision de la méthode, s'entend !) revient à Andis Kaulins qui, dans un article publié en 2003 dans le numéro 101 de sa Lexline Newsletter, date la fameuse scène du puits de Lascaux du. . . 25 décembre 9273 BC!
Par quels moyens?
C'est très simple: l'homme mort représente l'an écoulé, et il figure donc le solstice d'hiver. L'oiseau sur le bâton représente la position des Pléïades à ce solstice, car cette image représente "exactement" celle que formaient ces étoiles dans la nuit du solstice d'hiver de l'année 9273. L'auteur, qui ne recule devant aucune audace, en conclut que la culture magdalénienne (à laquelle cette peinture est généralement rapportée) a dû se prolonger bien plus longtemps qu'on ne le pensait. . .



A la page 14 de son livre "Stars Stones and Scholars", Andis Kaulins donne un schéma (ci-dessus) grâce auquel il décrypte la scène avec une aisance confondante: le Bison est Pégase avec Cassiopée sur sa tête, et l'homme mort est Persée, qui marque le début la nouvelle année, tandis que sous le ventre du bison se voit un "pis" qui n'est autre que le Verseau, la fissure à gauche de la scène en bas étant Orion, une particularité de la roche devenant Sirius, etc. L'amusant est que, bien qu'il dise reconnaître (sans la moindre preuve) tous ces détails, l'auteur ne semble pas avoir vu qu'à gauche de la scène se trouve un rhinocéros, qu'il décompose en plusieurs éléments non reliés entre eux, et qu'à leur tour il interprète: les pattes arrière sont "deux figures" qui, étant deux, ne peuvent donc qu'être les Gémeaux (bon sang, mais c'est bien sûr !), la queue et la croupe -- qu'il ne reconnaît pas non plus comme telles -- lui semblent figurer l'Aurige. Quant à la bosse et à la nuque de l'animal, elles lui échappent totalement: il y voit un harpon (!) lequel, par un tour de passe-passe dont j'ignore le mécanisme, lui apparaît comme une représentation du Lion. Tous ces détails sont supposés conforter sa thèse, selon un argument spécieux qu'on entend souvent de la part des herméneutes de l'art rupestre, et notamment les chamaniaques: si vous expliquez un détail, cela ne prouve rien, mais si vous en expliquez de nombreux, alors vous présentez la "best fit hypothesis", c'est-à-dire celle qui explique le plus grand nombre de faits. Le seul hic, dans l'histoire, est qu'il vaut mieux bien expliquer un seul détail, que mal toute une quantité. Or ici, la multiplication des explications finit par ruiner l'ensemble de la tentative, puisque les derniers éléments cités sont forcément faux : il y a là, réellement, l'image d'un rhinocéros, et non pas "deux figures", un "harpon", etc. Le plus amusant est que sous la queue dudit bison se trouvent six ponctuations qui, à la rigueur, auraient pu être considérées comme des marques stellaires… mais l'auteur les a oubliées dans son schéma, que l'on comparera utilement à la photo ci-dessous, empruntée à un article de Régis Poulet.




Il y a au moins une personne que la lecture d'Andis Kaulins ne pourra pas convaincre : le Dr. Michael Rappenglueck, qui lui aussi pense que la scène du puits est une carte du ciel, mais considère que les yeux du bison, de l'homme et de l'oiseau représentent les trois étoiles Vega, Deneb et Altaïr, qui dessinent un gigantesque triangle dans le ciel. Ce triangle, formé par les trois étoiles les plus brillantes visibles dans le ciel nocturne étésien est surnommé "
Summer Triangle". Or vers 16500 BC, ce triangle ne descendait jamais sous l'horizon et devait être particulièrement visible au début du printemps. Conclusion: cette peinture date de cette époque. Mais que deviennent les Pléïades, dans cette autre théorie (qui a fait l'objet d'un résumé dans le numéro 24 du Magazine of the Royal College of Science Astronomical Society, p. 13)? Elle sont bien visibles à Lascaux, dit le Dr. Rappenglueck, mais au-dessus du grand taureau, ce qui signifierait en plus que l'association à des animaux de certaines constellations (comme, justement, celle du Taureau) remonterait au Paléolithique. Quant à l'oiseau sur son piquet, il s'agit de l'étoile polaire sur l'axe du monde.

A l'appui de sa découverte, plusieurs fois diffusée depuis 1997, le Dr. Rappenglueck affirme, dans sa dernière présentation en date (au XVIe Valcamonica Symposium, organisé par Emmanuel Anati du 24 au 20 septembre 1998 sur le thème "Arte Preistorica e Tribale, Sciamanismo e Mito") que "des études ont montré que les chamanes n'étaient pas seulement des guérisseurs spirituels, mais aussi des experts en cosmographie".

Devant un argument aussi puissant, on s'incline.

A moins que vous ne vouliez en découvrir davantage? Vous pourrez alors consulter le livre que le Dr Rappenglueck a tiré en 1999 de son doctorat (car tout ceci a fait l'objet d'une thèse!) : "
Eine Himmelslkarte aus der Eiszeit? Ein Beitrag zur Urgeschichte der Himmelskunde und zur paläoastronomischen Methodik, aufgezeigt am Beispiel der Szene in Le Puits, Grotte de Lascaux, Frankfurt-am-Main / Berlin / Bern / Bruxelles / New York / Wien: Peter Lang, Europäischer Veralg der Wissenschaften, 531 p., 284 ill.

Le schéma ci-dessous en est extrait.




JLLQ



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