Une erreur, un mea culpa, et une leçon de linguistique
«Je sais qu'il est très dur pour vous de désavouer une opinion quand vous l'avez annoncée, car vous craignez certainement la honte.
Mais il est bien plus honteux de persévérer dans l'erreur,
et il sera encore plus dur de supporter une honte éternelle
à la place d'une honte de courte durée.»
Ces propos ont été tenus par Sébastien Castellion dans son livre De haerecticis non puniendis, publié sous le pseudonyme de Basilius Montfort au milieu du seizième siècle.
Eh bien, à ma courte honte, je viens de découvrir, dans mon livre La Caverne originelle, une énorme erreur qui semble avoir échappé à l'acribie de mes critiques. En effet, j'ai par mégarde confondu deux personnages homonymes, portant tous deux le nom de Richard Fester: mea culpa! C'est très ennuyeux, car le premier était nazi, et pas le second, linguiste farfelu dont je critique les propos dans le livre… où je l'ai accusé à tort de nazisme — erreur extrêmement regrettable. Ceci étant révélé, cela ne change rien quant au fond, car les thèses de ce second Richard Fester sur la langue préhistorique sont absurdissimes, et rejetées par tous les linguistes. On pourra consulter à ce propos la recension ravageuse de son livre La Langue de l'ère glaciaire publiée en 1966 par Engel Ulrich: »Buchrezension; Richard Fester: Die Sprache der Eiszeit. Die Archetypen der Vox humana.« — Berlin: F.A. Herbigs Verlagsbuchandlung (Walter Kahnert). Muttersprache 76 (10): 318-319.
Juste pour le plaisir, voici la traduction des principaux extraits:
Prenez une poignée de mots simples, monosyllabiques, faites-les varier selon toutes les règles de la phonétique (et parfois contre ces règles) et attribuez-leur un contenu aussi général que possible : alors, si vous êtes suffisamment insouciant, vous réussirez à ramener le vocabulaire de toutes les langues du monde à ces quelques formes de base. Richard Fester a fait cette «grande découverte». Au cours de son exploration des langues les plus diverses de la planète à différents stades de développement, il a trouvé six archétypes : BA, KALL, TAL, OS, ACQ, TAG, dont toutes les langues humaines seraient issues.
L'auteur ne se soucie guère du fait que ces six sons ne peuvent bien sûr pas représenter la «langue de la période glaciaire», mais tout au plus un vocabulaire primitif : la langue est toujours plus qu'un vocabulaire, et sans grammaire, il n'y a pas de parole; le livre ne nous donne aucune indication sur la façon dont on parlait à l'époque. Il serait d'ailleurs injuste de l'exiger: l'élaboration d'un vocabulaire de base de l'ère glaciaire serait déjà louable.
Fester se qualifie modestement de «dilettante» et d'«outsider», et renonce par conséquent à toute méthode linguistique. Le vocabulaire de toutes les langues du monde, tiré de dictionnaires et de grammaires, est pour lui une boutique où il fouille à l'aveuglette jusqu'à ce qu'il trouve ce qui correspond à ses thèses. Il semble ignorer qu'il faut connaître une langue et son évolution dans son ensemble pour pouvoir en évaluer les différentes formes.
Il n'est pas nécessaire de supposer qu'il ait étudié la centaine de langues dont il donne des exemples. Il juxtapose sans discernement des formes écrites (ou prononcées) identiques ou similaires, même si elles ont des origines différentes: quelle valeur informative peuvent avoir des formes forgées depuis la nuit des temps et qui, dans différentes langues, ont pris par hasard une forme similaire à un moment donné? Et si cette similitude avait des raisons d'être, il faudrait les rechercher et les nommer. L'auteur se contente de mentionner une racine commune, sans apporter la preuve de cette origine. Il a certainement entendu parler des règles phonétiques, mais comme elles font obstacle à ses conclusions hâtives, les exceptions sont élevées sans autre procès au rang de règle, et ce qui est considéré comme une règle par les spécialistes ne mérite pas qu'il s'y attarde.
Celui qui procède de manière aussi généreuse n'a bien sûr plus besoin de s'efforcer d'expliquer comment des dérivés de formes initiales très différentes peuvent servir de preuves pour la même chose : les mots latins pes, borealis, fugare, violare et même mors remontent tous à un seul archétype, BA. […]
Selon l'opinion courante, il existe des mots dont la forme et le contenu coïncident de manière frappante dans des langues apparemment sans rapport entre elles, comme le mongol et l'allemand. La science constate parfois des emprunts, mais, souvent, il s'agit simplement de coïncidences. Mieux vaut en être sûr : comme l'ascendance des Allemands par les Mongols ou des Écossais par les Efik-Ibibio, ou celle des Berlinois par les Esquimaux n'est pas en question, la solution évidente est la suivante: parenté de tous les peuples; langue originelle! Si l'on étire et malaxe suffisamment les faits, tout s'emboîte et l'on finit par y croire.
Car Fester sait écrire de manière captivante et vivante, en effet : «De PA, jambe, via l'allemand WADE, mollet, au français AT, pied, au grec POUS, au latin PES, le fil se poursuit vers l'allemand PFAD et PATTERAN […] vers l'allemand moyen PADDE pour grenouille et le mot PADDELN, pagayer, qui lui est emprunté» (page 38).
On ne peut pas faire plus clair ! Personne ne se rendra compte de la distorsion et ne se demandera de quel fil il s'agit et dans quel milieu (le temps ? l'espace ? les archives de l'auteur ?) il «s'étend» ainsi.
Mais ceux qui ne veulent toujours pas voir que ce livre est truffé d'absurdités peuvent lire à la page 43 : chez Fester, «Brust» (poitrine) est en fait le même mot que «Buste», le /r/ «gênant» a simplement glissé. On sait depuis longtemps que le mot germanique commun «Brust» est d'origine indo-européenne et donc beaucoup plus ancien que le mot bustum, dérivé, par une séparation erronée, du latin combustum qui signifie «ce qui est brûlé». C'est sans doute parce que les tombes étrusques contenaient, outre les cendres des défunts, leurs effigies, que bustum est devenu le terme désignant les portraits en buste, les «bustes» ; ce n'est que beaucoup plus tard que le sens s'est restreint pour désigner uniquement la poitrine féminine.
Fester dit également que notre chiffre funf /cinq est lié au grec pente, mais pas au latin quinque, qui remonte à un autre archétype. Le fait que, dans les cas mentionnés ci-dessus, f, p et qu remontent au même son indo-européen est certes mentionné dans toutes les études sur les sons indo-européens. Mais que valent les manuels lorsqu'il s'agit de la langue de la période glaciaire!
[…] Le livre trouvera des lecteurs, ne serait-ce qu'en raison de son titre habilement formulé. C'est pourquoi il fallait mettre en garde de manière aussi détaillée contre un ouvrage pour la préface duquel le professeur H. Kühn, de Mayence, a prêté son nom — ce qui est peut-être le plus déprimant.
On peut acheter dix livres de poche pour le même prix.

