Mammouths américains

D’authentiques gravures de mammouths américains remettent en cause notre vision de l’art paléo-amérindien au tournant du Pléistocène et de l’Holocène

Plusieurs espèces de mammouths ont vécu en Amérique. Le plus ancien est Mammuthus meridionalis, venu d’Eurasie il y a environ deux millions d’années et duquel est issu le mammouth de Colomb (Mammuthus columbi). Le plus récent, arrrivé il y a environ 50.000 ans, est le mammouth laineux (Mammuthus primigenius), duquel sont issus les mammouths pygmées (Mammuthus exilis) qui vécurent isolés sur des îles au large de la Californie. Il y avait encore des mammouths en Amérique vers 11.000 ans avant notre ère et, quelque soit la date d’arrivée de l’homme sur le Nouveau Monde, date discutée mais de toute manière plus ancienne, ce qui est surprenant, c’est qu’on n’avait jamais trouvé sur ce continent de représentations de cet animal.
Certes, de par le passé, plusieurs images rupestres avaient été présentées comme figurant des mammouths ou d’anciens éléphants, en Arizona, au Nevada ou dans l’Utah, par exemple, mais il s’agissait soit de faux, soit d’une surinterprétation d’images si grossières que les quadrupèdes qu’elles représentent ne sont pas identifiables. Elles n’en font pas moins les délices de cryptozoologues et créationnistes adeptes du wishful thinking (voir un exemple
ici et ).

Or deux publications très récentes viennent de radicalement changer les choses.

Premièrement, une gravure de mammouth sur os a été découverte sur le site de Vero Beach en Floride, où des os animaux et humains de la fin du Pléistocène avaient déjà été trouvés ensemble en 1913-1916, mais ces trouvailles, dues au Dr. E.H. Shellards, un géologue de Floride, avaient été contestées.

Mammouth_Floride
Gravure de mammouth de Vero Beach, Floride (d’apr. Purdy et al. 2011)

La nouvelle image a été trouvée par James Kennedy, un chercheur de fossiles amateur, et comme elle était, au moment de sa découverte, la seule et unique représentation de ce type, son étude a mobilisé plusieurs experts, qui publient leurs résultats dans le Journal of Archaeological Science (Purdy et al., 2011: « Earliest art in the Americas: incised image of a proboscidean on a bone from Vero Beach, Florida », JAS, sous presse).

L’os qui porte cette figuration mobilière a été identifié comme provenant peut-être d’un paresseux géant (
Eremotherium) ou, plus probablement, d’un mammouth ou d’un mastodonte. L’analyse des minéraux rares qui s’y trouvent a permis de vérifier qu’il s’agit bien d’un fossile comparable à ceux d’un site voisin. L’examen au microscope électronique à balayage des marques et incisions qui l’ornementent a démontré qu’elles ne peuvent être récentes. La spectroscopie aux rayons X indique en effet que leur surface présente des concentrations en calcium, phosphore et carbone typiques des os minéralisés. Tous les experts ont donc conclu à l’authenticité de cette pièce. La remarquable similitude stylistique entre cette gravure américaine et les figures de mammouth du Paléolithique supérieur d’Europe occidentale est intrigante: comme un seul document américain est concerné, il pourrait ne s’agir que d’une coïncidence, mais ce pourrait également ajouter un nouvel indice d’une connexion directe entre l’Europe et l’Amérique à cette époque, selon une thèse déjà suggérée, sur la base des industries lithiques, par Stanford et Bradley en 2004.

Presque simultanément à cette découverte d’art mobilier, deux représentations rupestres semblablement interprétées ont été étudiées sur le site de Upper Sand Island, le long de la San Juan River, près de Bluff, dans l’Utah, par Ekkehart Malotki et Henry D. Wallace
(Malotki & Wallace 2011: « Columbian Mammoth petroglyphs from the San Juan River near Bluff, Utah, United States », RAR 28/2: 143-152).

Là aussi, l’étude microscopique montre que ces pétroglyphes sont anciens.


A gauche, l’une des gravures de mammouth de San Juan Mamouth San Juan 1River (Utah), en partie oblitérée par un mammifère difficile à identifier, bien qu’un bison ait pu être évoqué à son propos (D’après Malotki et Wallace, 2011).


Ces gravures rupestres ne peuvent malheureusement pas être directement datées, mais à seulement 120 kilomètres du site où elles se trouvent, les fouilles de Bechan Cave -- une immense caverne qui fut très fréquentée par les mammouths -- ont livré des centaines de mètres cubes de bouses de ces proboscidiens datées d’environ 11000 à 15000 ans avant nos jours, ce qui pourrait donner une estimation d’ancienneté raisonnable aux gravures de San Juan River
(Mead et Agenbroad 1992, « Isotope Dating of Pleistocene Dung Deposits from the Colorado Plateau, Arizona and Utah », Radiocarbon 34/1: 5-7).

Mamouth San Juan 2
Le second mammouth piqueté sur une falaise de San Juan River (Utah)
( D’après Malotki et Wallace, 2011)

L’une des conséquences les plus intéressantes de ces deux études est qu’elles permettent de réviser la notion courante selon laquelle les Paléo-Amérindiens ne se seraient exprimés que par un art à tendance géométrique ou même par des figures totalement abstraites. Les gravures de mammouths de Vero Beach et San Juan River montrent au contraire qu’une expression figurative a également existé en Amérique dès la fin du Pléistocène, et il ne serait pas surprenant que d’autres gravures du même genre soient signalées dans l’avenir.

JLLQ
















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