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Les darioleurs du Bocage

Jean-Loïc Le Quellec


Le pouvoir de la voix

A Bel-Air de Vouvant, Monsieur Arthur Duret, à 84 ans, travaille toujours avec Jhaunéte et Bijhou, ses deux Parthenaises, qu'il lie chaque année, à l'occasion des labours et du hersage, et qu'il attelle à sa vieille charrette, pour aller ramasser les betteraves :

"...
Lés charétes, ol en at pu. Ma charéte, i é trouvai a la vende, me i veù pa la vende, pasque çhéte annàie, si ol avét pa étai la charéte, i aràe pa pu sortir més bêtes. Tant pu qu'ol et mollai, pu a roule bai, aleùre et possiblle de lés sortir den l'eau. Me ac le pllateau, ol at qu'ine chouse a faere : ét de rechtàe couchai, pi léssàe lés bêtes den le térrén !(1)
(Les charrettes, il n'y en a plus. J'ai bien trouvé à vendre la mienne, mais j'ai refusé parce que, sans elle, cette année, je n'aurais pas pu ramasser mes betteraves. Plus la terre est détrempée, mieux elle roule, alors on peut les sortir de l'eau. Mais avec le plateau, il n'y a qu'une chose à faire c'est de rester couché, et de laisser les betteraves dans le terrain !)

L'âge a cassé la voix du toucheùr
(bouvier) qui ne peut plus dariolàe (chanter pour les bœufs), mais qui parle à ses bêtes queme a ine prsoune (comme à quelqu'un), et qui utilise des cris bien précis, pour commander leur marche :

Avance ! Avance ! Aléz ! (pour avancer)
Ssss ! Suo ! Suc, petit ! So ! So la ! So petit ! (pour reculer)
Ola ! Uo ! 0 ! (pour arrêter)

Pour tourner, par exemple à droite, on appelle par son nom l'animal qui se trouve de ce côté, tout en donnant une petite tape sur le mufle de celui de gauche, avec
l'aguellun (l'aiguillon). Pour diriger plus précisément son attelage en arrière, par exemple lorsqu'il faut le conduire de manière à ce que l'aguelle de la charéte (le timon) pénètre juste dans les anblléts (anneaux du joug), le toucheùr se place devant ses bêtes et, de son aguellun tenu horizontalement, frappe légèrement le nàe (mufle) de chacune d'elle, alternativement, en silant (en sifflant) et en disant : "Seù ! So !"
L'efficacité de ces cris et des gestes qui les accompagnent suppose une grande entente entre l'homme et l'animal, une véritable complicité obtenue par un patient dressage :

"O n'n at qui lés drsant pu vite que lés àutres, i sé pa, ét ine manie, le savant meù lés prendre den leùr façun, pasque lés bàetes avant pas totes le maeme caractae
re. Le pu mouvés, ét quant ine bàete se couche: o n'n at qui sant pas relevablles. Faut lés déliàe pi lés envéyàe navigàe. Petit a petit, on y arrive, mé ol ét rare si a se couchant pas deùs ou troes foes." (1)
(II y en a qui arrivent à les dresser plus rapidement que d'autres. Je ne sais pas, c'est une habitude, ils savent mieux les prendre comme elles sont, car les bêtes n'ont pas toutes le même caractère. Le pire, c'est quand l'une d'elles se couche : il y en a qu'on ne peut plus relever. II faut les délier et les laisser errer. Petit à petit, on y arrive, mais c'est rare quand elles ne se couchent pas toutes deux ou trois fois).
Monsieur Marcel Ploquin, à l'Egluère d'Antigny, nous a confirmé "qu'o faulét lés mete a la parole" (qu'il fallait les habituer à obéir à la voix), en les liant avec des bêtes déjà habituées à travailler (2).


Le soin apporté au rangement et à l'entretien du matériel (joug et liens) permet d'éviter les surprises désagréables.
Bel Air de Vouvant (85) chez Arthur Duret
(cl. et coll. Jean-Loïc Le Quellec)


Les noms des bœufs

Les bœufs étant liés par paires, leurs noms vont souvent par deux, et on s'arrange fréquemment pour qu'un sens apparaisse à l'appel des animaux ; Galand-Lamoureux, Château-Brillant... L'occasion est belle pour des allusions…

Gaillardes :
Cocu - Par-là!
Cocu - Comme-toi! Amoureux - Galand! Viens-tu - Chérie! Manie-ton - Branleùr! Maniez – Piston! Zobi - Méts-te lae! Ça me fait - Du Bien!

Militaires :

Cavalier - Lancier
Privé - D'amour Sergent - Major Engagé - Volontaire Attention - Garde-à-Vous!
A Soullans, un attelage de six bœufs était nommé :
Restons - Français! Tombés - Par terre Relevons - Les!

Contestataires :

Fonctionnaire - Trop payé
Boulanger – Menteur! Maréchàu – Voleùr! Paysan - Défends-toi! Charretée – Misère! Pauvreté - Darére! Bourgadin - Trop heureux! Cope dé - Pas d 'guerre! (afin d'échapper à la conscription, certains n'hésitaient pas à se couper un doigt, afin de se trouver dans l'impossibilité de manier la gâchette du fusil).

Politiques :

Caillaux - Malvy (après la Première Guerre mondiale)
Gaston - Guillemet Bazire - Ménage Chamberlain - Daladier Montagnard - Girondin Pisani - Pompidou Cabinet - Renversé
A Saint-Denis-la-Chevasse, un attelage de quatre bœufs était ainsi appelé :
Romarin - Pourras-tu Passer - Député?

Descriptives :

Bllandin, Fromentin et Farinàu (blancs)
Jhaunét, Doré et Bllondin (jaunâtres) Lunàu (avec une tache blanche sur le front) Calot (avec une tache sur la tête) Castén (châtain) Charbounea, Merlét, Taupé, Chocolat Noiraud et Moreau (noirs ou noirâtres) Aronda (couleur d'hirondelle) Pijhàud, Pijhun (de couleur pie) Roujhàud, Rojhét et Vermeil (rougeâtres) Barbouillé, Barré et Tapiné (selon les taches du pelage) Brichét (taché à la queue) Chauvét (à poil ras) Corbas (à cornes courbées vers le bas)


Des bœufs aux drôles de noms

Certains noms sont groupés par quatre. Aussi Marcel Ploquin raconte :
"Bernard Thibaud la, le voesin, l'avét daus beùs qu'aviant daus droles de nums. L'en avét trjhou sis qui travalliant mé l'en avét deùs qui s'apeliant ''Chatouillez - Nichon'' é pi deùs àutres "Troussez - Jupon''. I me rapele, ine foe, le passét su la route, pi i avàe ine cousine qu'étét couturére, pi al avét ses deùs seùrs qui travalliant avéc lai. Aleùre a travalliant a la fenàetre, su le bord de la route. Chél outi, qui passét la, l'o fesét espraes, hén : "Allez, mes enfants, Chatouillez, mes Nichons! Troussez, mes Jupons!". A bén, queme o dit ma cousine, la prmére foe qu'i l'avun entendu, totes lés troes, i nous avun marai de rire tote ine demi jhornàie ! Bén i di : et pas vrai ? Quant i va le voer, i va Ili demandàe... l'o z-at dit espraes ? Pi i ae demandai :
- Bén Bernard, quement que te lés apele, tés beùs ?
- Qu'ét o qui t'o z-at dit, ta cousine ?
- Bén oell, l'avant daus beas nums !
- Le sant pas beas, çhés nums ? Bun Dieù, i lés ae ajhetai de maeme, i ae pas chanjhai lés nums!
Mé l'o fesét éspraes. Le disét lés quatre nums d'in cop, surtout quant le voeyét daus fames!
Ét vrai qu'ét assé dur, de chanjhàe lés nums de beùs. I m'en rapele, ine foe, i en ae ajhetai deùs a n-in voesin pa loén, i lés ae ajhetai yin apràe l'àutre. I en avàe deùs qui s'apeliant de maeme num : Colin pi L'Ami, i achète lés deùs parélls. A! Aleùre faulit lés chanjhàe ! I lés é batisai Parisien pi Farceur, me ol at été lung, én! Pasque lés àutres travalliant, le s'apeliant L'Ami pi Colin, pi l'entendiant zeùs aussi : ol at été lung de lés chanjhàe."
(Bernard Thibaud, le voisin, là, il avait des bœufs qui avaient de drôles de noms. II en avait toujours six à travailler, dont deux qui s'appelaient "Chatouillez - Nichons" et deux autres "Troussez – Jupon". Je me souviens qu'une fois, il passait sur la route, et sa cousine était couturière, travaillant avec ses deux sœurs. Elles travaillaient près de la fenêtre donnant sur la route. Alors cet outil, en passant là, faisait exprès de crier "Allez mes enfants, Chatouillez-Mes Nichons ! Troussez-Mes Jupons !". "Ah ! comme dit ma cousine, la première fois que nous l'avons entendu, nous en avons ri toute la demi-journée !". Je lui ai répondu : "Ce n'est tout de même pas vrai ? Quand je le verrai, je lui demanderai s'il l'a fait exprès." Alors je lui ai demandé :
"- Eh bien, Bernard, comment appelles-tu tes bœufs ?
- Qui t'en a parlé, ta cousine ?
- Oui. Ils ont de beaux noms !
- Ils ne sont pas beaux, ces noms ? Bon Dieu, je les ai achetés ainsi, je n'ai pas changé leurs noms ! "

Mais il le faisait exprès. Il disait les quatre noms ensemble, surtout quand il voyait des femmes ! C'est vrai qu'il est assez difficile de changer les noms des bœufs. Je m'en souviens, une fois, j'en avais acheté deux à un proche voisin, et je les avais achetés l'un après l'autre. J'en avais deux qui s'appelaient : "Colin" et "L'Ami", et j'en rachète deux qui portaient ces mêmes noms. Ah ! alors, il fallut les changer. Je les ai baptisés "Parisien" et "Farceur", mais cela fut long, hein ! Car les autres, "L'Ami" et "Colin", travaillaient à côté, et ils entendaient eux aussi. Cela fut long pour les déshabituer.)

Les chants du labour

Dans le Bocage, toutes les personnes âgées d'au moins trente ans se souviennent du temps où l'on entendait, dès avant le jour, les laboureurs araudàe (chanter aux bœufs). Selon les localités, la façon spéciale de chanter propre aux toucheùrs se dit en vendée : chantusàe, brlaudàe, trlandàe, baulàe, boelàe, boerdàe, subllàe, subllétàe, raudàe, araudàe, éraudàe, pibolàe, dariolàe, huchàe, notàe et leur chant s'appelle : in dariolajhe, ine randonade, in raudajhe, in araudajhe, in éraudajhe, ine raudà (3).
II faisait encore nuit quand les laboureurs partiant a l’aràie en pibolant (partaient labourer en chantant), et c'était même à qui ferait entendre son chant le plus tôt :
"Au matin, étét sét eùres, pa pu tard, daus foes sis eùres. Etét a qui le prmàe sortét qu'on entendét pibolàe, pasque... étét le pu fort. l'étét parti travallàe. Quant le se nalét au travall, on l'entendét, o velét dire : "Je suis parti au travail !" - Pi lés autres répouniant (1)."
(Le matin, c'était à sept heures [qu'on les entendait], pas plus tard, parfois six heures. C'était à qui sortirait le premier pour qu'on l'entende chanter, parce que... c'était lui le meilleur : il était parti travailler. Quand il partait, on l'entendait, et cela voulait dire : "Je suis parti au travail" - Et les autres répondaient).
Chacun avait sa raude personnelle, ce qui n'empêchait pas une bonne part d'improvisation :
"Màe, i arivàe a o faere su n'inporte queùl aer, ine chançun, n'inporte." (2).
(Moi, j'arrivais à le faire sur n'importe quel air, sur une chanson, sur n'importe quoi.)
Certains étaient connus pour dariolàe en mettant un doigt dans leur oreille, comme Auguste Bonnet, de Cheffois, maintenant âgé de 80 ans, mais d'autres avaient l'habitude de dariolàe a voes libre (sans mettre un doigt dans l'oreille).

"Lés bàetes, o leùr dounét dau courajhe. A daus foes, le travall étét pu forciablle. Faulét s'arétàe cén minutes. Le Partenés ét ine bàete qui tenét beacop au travall. Il en é touchai uit su l'atelajhe. Faut savoer lés touchàe ! Su lés uit, a daus foes, o n'n at sis qui sant aptes, pi deùs jhénes qui sant... pr enbàetàe. On lés atele chàene en chàene. ln atelajhe de uit bàetes fêt environ 13m, aleùre faut in grand aguellun. Quant t'as uit bàetes su n-in braban, ét pas in petit outillajhe ! Et maeme faticant !" (1).
(Les bêtes, cela leur donnait du courage. Parfois, le travail était plus dur. II fallait s'arrêter cinq minutes. Le Parthenais est une bête dure au travail. J'en ai conduit huit sur un attelage : il faut savoir les conduire ! Sur les huit, parfois, il y en a six qui sont capables, et deux jeunes qui sont... ennuyants. On les attelle à une série de palonniers. Un attelage de huit bêtes fait environ 13m de long, alors il faut un grand aiguillon. Quand tu as huit bêtes attelées à une charrue, ce n'est pas une petite affaire ! C'est même fatigant !)
... tellement fatigant que parfois, en plein midi, certains bœufs étaient pris de faiblesse quand l'étiant achalais (quand ils avaient pris un coup de chaleur) : ces beùs de chaleùr avaient ensuite mauvaise réputation, et on cherchait à s'en débarrasser... les plus sages les engraissaient pour la boucherie, mais quelques-uns les revendaient sans préciser que l'aviant tunbai (qu'ils avaient chuté) (2).

Des chants «étranges»
Depuis le XVIe siècle, des érudits locaux ou des voyageurs ont noté, de façon très approximative, des chants d'araudajhe, mais la plupart ont renoncé à en transcrire la partition, et se sont contentés de descriptions purement littéraires. Le vocabulaire utilisé par ces auteurs est fort intéressant : ils évoquent tour à tour la "forme irrégulière et les intonations fausses" (G. Sand) que prend cette "mélopée" (J. Bujeaud, M. Valière et C. Robert) "aux notes aigres et monotones" (L. Bujeaud), cet "air fausset" (Savary), ce "chant qui n'en est pas un" (A. Amaury, M. Delanoy), "si l'on peut appeler chant" ce "cri guttural et endormant" (M. Brunet). Nous pourrions multiplier les citations, qui sont d'autant plus remarquables que leurs auteurs sont musiciens, mélomanes, folkloristes, ethnologues, voire musicologues ou ethnomusicologues, et que tous semblent avoir été fascinés par les dariolajhes qu'ils ont entendus. Mais le ton de leurs descriptions nous en apprend moins sur "l'étrangeté" des raudes que sur ces écrivains, eux-mêmes étrangers au monde d'où ces chants sont issus.


Des sillons aux textes
 
"Dans son "Itinéraire de Nantes à Napoléon-Vendée", ouvrage paru aux environs de 1855, Auguste Amaury dépeint une scène de labourage en citant le nom des bœufs : "Voyez là-bas ; à sa charrue, comme ce vigoureux gars de ferme, la chevelure au vent, la poitrine ouverte aux ardeurs du soleil, conduit gaillardement ses bœufs ; il les harangue de son chant joyeux ! "Mon Cadet, mon Frinchet, mon Mignon, mon Châtain, mon Vermeil, mes enfants, Oh !'' qu'il fredonne à pleine voix en terminant son invariable refrain d'un cri aigu, que vous entendriez d'une lieue ; le tout entremêlé de sifflements cadencés où le gars berce complaisamment sa ritournelle, c'est le chant du labourage!'' C'est ce qu'on appelle selon les coins de notre bocage, ou de notre plaine, "darioler" ou "piboler". L'on dit fréquemment un "bai pibolou", un "bai dariolou". Il y eut naguère, au temps béni de la paix, des cavalcades à Fontenay-le-Comte, et ailleurs. L'on se rappelle encore ces chars fleuris traînés par 8 ou 10 bœufs conduits par des bocains en dariolant. Ils avaient l'aiguillon fleuri pour la circonstance et le petit doigt dans l'oreille pour mieux "s'entendre". On choisissait naturellement les plus doués dans ce genre de chant, un chant qui n'en est pas un, et qu'aucune musique n'a pu rendre, ceux qui avaient la voix la plus forte, et aussi la plus dolente, car il s'agissait de faire durer la ritournelle le plus longtemps possible."
CLERGEAUD (L), 26 mai et 16 juin 1946 : Les Bœufs de chez nous, La Vendée Libre.

Voici deux autres textes évoquant le chant aux bœufs:

"Le terlandage est spécialement populaire en Poitou, dans le Bocage, dans la Gâtine ; et à la venue de l'hiver, alors que les laboureurs sont aux champs, il n'est pas une de ces grandes haies vives qui jettent tant de pittoresque à ces pays, derrière laquelle ne retentisse, de l'aube à la nuit tombante, une voix large et sonore, roulant en longues modulations rompues çà et là par un huchage s'adressant au bœuf qui fatigue et faiblit.
Le pibolage, lui, consiste dans les ornements et les agréments pétillants de gaieté dont tout bon chanteur villageois pare et termine sa chanson ; ce n'est pas autre chose que des fioritures champêtres, qu'il improvise à pleine voix, sur la dernière note de l'air qu'il vient de chanter. Ainsi que le terlandage, le pibolage est particulier à chaque paysan, et plus d'un bon piboleur et bon terlandeur ne pourra vous répéter celui qu'à l'instant il vous aura fait entendre, tant ces chants sont bien le fait de l'improvisation et du caprice."
BUJEAUD (J.), 1895 : Chants et chansons populaires des provinces de l'Ouest ; Niort, [reprint, Marseille, Laffitte], 2 vol. (t l, op. 16-17).

Cette voix semblait tomber du ciel
"- Oh ! Ooooh ! Rabalet ! Maréchau ! Ooooh !
Si aiguë, si ronde, cette voix semblait tomber du ciel où le vent l’emportait d’une pièce, sans la déchirer ni la rompre, avec la poussière qui montait de l’aire. Toute la Vendée frémissait dans ce timbre, la terre d’abord, cette terre pâteuse, liée par l’eau, qui ne s’ouvre qu’aux exhortations haletantes des hommes, la houppée des gars qui s’appellent d’un champ à l’autre en rentrant le soir à la noirtée, le rire des filles, le carillon des rondes et des chansons qu’on accompagne du battement cadencé des galoches, le vieillard souriait, encourageait le valet :
- Dariole, mon gars, dariole."
ELDER (M.), 1932 : La Bourrine, Paris, J. Ferenczi et fils, 252 p. (p. 43). Cette description se rapporte à la région de Saint-Jean-de-Monts.


II est vrai que l'époque où les
darioleùrs se répondaient au petit jour d'une coutére (colline) à l'autre, où l'on sifflait des airs accompagnant les bœufs en train de boire : "boes s'tas sàe! boes s't'as sàe !... é pi le buviant, én!" (4) (Bois si tu as soif! Bois si tu as soif!... et ils buvaient, hein!), cette époque est bien révolue. Les toucheurs des "fêtes des battages", criant nerveusement après leurs bêtes, ne font que l'évoquer, et bien mal... au cours de manifestations qui se situent un peu dans le prolongement de ces "Courses à bœufs" qui eurent une certaine vogue avant la dernière guerre (5). Un film sur les derniers darioleùrs de tradition est en cours de réalisation (6) ... de jeunes chanteurs s'essayent à pibolàe... une courte raude figure au milieu d'un récent disque de rock (7)... Qui sait l'avenir des vieux chants? L'exemple du martinete, ancien chant de forgeron rythmant naguère la frappe alternée sur l'enclume, et maintenant offert au public des concerts de musique flamenca, sans rien perdre de sa force ni de sa beauté, montre que des chants aussi fonctionnels que les raudes peuvent brillamment survivre à la disparition de la fonction qu'ils soutenaient... qui sait l'avenir des vieux chants ?

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1 Dit par Monsieur Arthur Duret, 84 ans, à Bel-Air de Vouvant, le 19-02-1988. Enquête J.-L. Le Quellec, Y. Le Quellec, M.-J. Aïssa, B. Bidaud, O. Poupard.

2 Dit par monsieur Marcel Ploquin, 80 ans, à l'Égluère d'Antigny, le 19-02-1988. Enquête J.-L. Le Quellec, Y Le Quellec, M. J. Aïssa, B. Bidaud, O. Poupard.

3
Raude et dariolajhe sont très fréquents dans la région de la Châtaigneraie, où nous avons plus spécialement enquêté. Le mot randonade nous a été donné par Monsieur André Lubot, 63 ans, à L'Egluère d'Antigny, le 23-01-1988 (enquête J.-L. Le Quellec et B. Bidaud). Le terme d'éraudajhe est celui qu'utilise Jacques Du Fouilloux dans son traité de vénerie, en 1573.

4 Chanté et sifflé par Monsieur Guy Bourreau, 66 ans, à Cheffois, en 1980. Enquête J.-L. Le Quellec.

5 Chauvet (A.), Croix (N.) & Renard (J.), 1981 :
D'hier à aujourd'hui, le Canton de Saint-Fulgent ; éléments du patrimoine ethnographique ; Saint-Fulgent, C.N.R.S., A.T.P. de l'Observation du Changement Social et Culturel, 64 p., LIII pl. (pl. XXV : Course à Bœufs à Bazoges-en-Paillers en 1932).

7
Jan do Fiao (avec Yannick Jaulin) UP 59, 33 cm, éditions UPCP Geste paysanne, 1987.