Encore la plus vieille écriture du monde !
Pour attirer les médias, certains archéologues n'hésitent pas à faire croire qu'ils ont découvert le plus vieux ceci, le plus ancien cela. Cette fois, c'est à la "plus ancienne écriture du monde" qu'il est fait un appel… illusoire.
Très
régulièrement, des chercheurs en art rupestre
estiment avoir trouvé l’origine de telle ou telle
écriture, ou bien pensent avoir découvert les plus
anciens glyphes du monde, mais l’enquête prouve
généralement qu’ils ont cédé aux sirènes médiatiques
qui, en préhistoire, ne s’intéressent qu’aux “plus
anciens” ceci ou cela. Et cette tendance se double
souvent d’un certain chauvinisme. Dernier exemple en
date, ce communiqué
relayé
par l’agence de presse China.org.cn, en date du 18
mai courant, et selon lequel des gravures
rupestres vieilles de 8000 ans seraient à
l’origine des caractères de l’écriture chinoise.
L’âge de celle-ci serait donc repoussé de
plusieurs milliers d’années dans le temps. La
preuve s’en trouverait sur les milliers de
gravures de Daimidi, dans les monts Beishan,
région du Ningxia, au nord-ouest de la Chine.
Ci-dessus:
examen des gravures de Damaidi
Selon Li
Xiangshi, “experte en art rupestre” à la North
University of Nationalities de Yinchuan (capitale du
Ningxia), certains des symboles gravés sur les
rochers seraient semblables à d’anciens caractères
chinois, et identifiables à eux. Un autre “expert”,
Liu Jingyun, affirme qu’à la suite d’une recherche
difficile, ce seraient des centaines de caractères
qui auraient pu être identifiés sur les gravures
rupestres. Il en résulte, selon ces chercheurs, que
la signification de ces dispositifs rupestres devrait
pouvoir être déchiffrée.
Bien sûr, la nouvelle a été reprise par de nombreux
médias, par exemple
en espagnol ,
en français et
(of
course)
en anglais. Mais
lorsque l’on cherche sur l’internet des images du
site, on ne trouve que des gravures d’un type très
commun en plusieurs régions de Chine, et qui ne
peuvent guère être rapprochées de quelque caractère
chinois que ce soit.
Exemple
des gravures rupestres de Damaidi.
En fait,
les gravures de Damaidi sont connues au moins depuis
les années 1980 (on a inventorié dans cette région
quelque
8453 figures individuelles
). De plus, il se trouve que dès 2005, un véritable
expert,
Tang Huisheng (汤惠生),
interrogé par le
Xinmin Weekly, avait
déjà fait un sort à ces supputations fumeuses.
新民周刊:那大麦地的岩画与汉字起源到底有没有关系呢?Xinmin
Weekly : “Existe-t-il réellement un lien entre les
gravures de Damaidi et l’origine des caractères
chinois ?”
汤惠生:我们既然确定了大麦地岩画的时代,那么我们便可以确凿地认为,大麦地岩画与汉字的形成没有任何关系了。即便是大麦地岩画的时代远远早于甲骨文,我们也不能因为它们在某种程度上相似而认为两者之间有什么联系,尽管许多岩画符号具有表意和指事功能。二者最大的区别是岩画没有表音功能,其符号在象征系统中不具有经常性和稳定性。此外文字是用于交流的语言的象征体系,是一种专门工具,而岩画则更多是一种宗教仪式。大麦地有些画面被加以明确解释,如“臣服”,这只是一种望文生训式的猜测,即便是正确的,也不能因此而将大麦地岩画与汉字之源或文字相联系。即便是两者之间有关系,但这种建立在经验感觉之上的归纳法本身就不具备科学性。
Tang
Huisheng : “Comme
nous avons identifié l’époque des gravures de
Damaidi, nous pouvons affirmer de façon certaine
qu’elles n’ont absolument rien à voir avec la forme
des caractères chinois. Même si ces gravures sont
beaucoup plus anciennes que
les inscriptions oraculaires sur os ou carapace de
tortue , nous ne
pourrions affirmer qu’il existe un rapport entre ces
deux types de documents du simple fait d’un certain
niveau de ressemblance, et cela même si les gravures
avaient une fonction sémantique ou idéographique. La
plus grande différence entre les deux est que les
gravures n’ont aucune fonction phonétique. Ce sont
des symboles qui n’ont pas de signification fixée et
régulière au sein d’un système idéographique. De
plus, les caractères sont la représentation
idéographiques d’une langue de communication, ce qui
constitue un outil très spécialisé alors que les
gravures ont généralement une fonction rituelle ou
religieuse. Certaines définitions ont été données à
quelques gravures de Damaidi, par exemple en
affirmant que
l’une voudrait dire “soumission à la
loi” , mais ce
ne sont là que des suppositions basées sur des
interprétations tirées de leur forme. Même si c’était
correct, cela ne voudrait pas dire qu’on peut lier
les gravures de Damaidi à l’origine des caractères
chinois ou de toute autre écriture. Et même s’il
existait un lien entre les deux types de documents,
le raisonnement utilisé pour le mettre en évidence
n’est pas scientifique.” Et Tang
d’ajouter:
从认识论角度或人类学角度来看,岩画和甲骨文或许有关联,因为二者都有象形功能;但从考古文化类型学角度来看,二者是不可能有渊源关系的,因为二者分属于完全不同的文化体系,或用生物学的说法属于不同的种。这个道理就如同我们现代人不是尼安德特人的后代一样,尽管我们现代人类的祖先与尼安德特人有着很多的相似之处。我们讨论汉字的起源时不应该从认识论和人类学的角度来进行,因为这种通则式的研究在讨论种族和地区文化起源时不仅于事无补,反而会模糊了问题的焦点。我们对汉文字起源的研究假如基于这种错误的方法来进行,我以为不会有任何结果和进展的。
“Du point
de vue épistémologique ou anthropologique, il
pourrait exister un lien entre des gravures rupestres
et l’écriture oraculaire sur os, dans la mesure où
les deux systèmes ont une fonction idéographique.
Mais du point de vue de la typologie archéologique et
culturelle, il n’est pas possible que l’un soit à
l’origine de l’autre, car ils appartiennent à deux
cultures complètement différentes. […] Nous ne
devrions pas discuter des origines des caractères
chinois en termes anthropologiques, parce que les
recherches s’appuyant sur de telles généralités ne
sont d’aucune aide pour élucider les origines de
telle ou telle culture régionale. En fait, cela ne
fait qu’embrouiller les choses.”
Sa conclusion, très claire, n’a malheureusement pas
été aussi médiatisée que les pseudo-découvertes qu’il
dénonce:
“我再次强调,我这里仅仅针对来自部分新闻媒体的说法。炒作不仅丝毫不会提升我国学术研究的质量,也丝毫不会提升我国的政治文化等影响,反而会贻笑大方,此风不可长”
“Je répète
que ce que je dis ici vise la manière dont les faits
sont rapportées par certains médias. Non seulement un
tel battage publicitaire ne fera pas monter le niveau
de la recherche universitaire chinoise, mais cela
n’améliorera pas non plus l’influence politique ou
culturelle de la Chine — ou toute autre chose de ce
genre. Au contraire, cela nous rendra ridicules, et
ce n’est pas une tendance à
encourager.”
Au fait, comment dit-on, en chinois, “Nul n’est
prophète en son pays” ?