Manne pétrolière contre patrimoine aborigène
Cédant sous la pression d'un grand groupe pétrolier (Woodside), le gouvernement australien vient de rejeter la proposition de classer les sites d'art rupestre de la péninsule de Burrup.
Cette péninsule (dont le nom local est Murujuga) et l'archipel voisin comportent, outre de nombreux monuments lithiques et des ensembles de stèles, plusieurs centaines de milliers de gravures rupestres (entre 500.000 et 1.000.000 selon les estimations), parmi lesquelles il en est qui ont six ou sept mille ans, et certaines sans doute beaucoup plus (30.000 ans, peut-être).
Une vingtaine d'images représentent le thylacine ou
loup (ou tigre) de Tasmanie, une espèce éteinte en
Australie depuis au moins 3000 ans.
Ci-dessus, l'une des
gravures de thylacine de la péninsule de
Burrup.
Ci-dessus, la fameuse photo du
dernier thylacine vivant en captivité, prise en 1933
par David Fleay au Zoo de Hobart.
Cliquez ici pour voir l'animal
vivant ! (d'après l'excellent Thylacine museum)
Ken Mulvaney, actuellement l'un
des plus grands archéologues australiens, a étudié
les gravures de thylacine de Burrup et pense
qu'elles correspondent à un rituel de protection
de cet animal, qui aurait été élaboré par les
Aborigènes quand cette espèce a commencé à
décliner il y a 3000 ans. Les ethnologues ont en
effet documenté des rituels de ce genre, exécutés
à des endroits sacrés nommés thalu, et où
la réalisation des images fait partie intégrante
de la cérémonie.
Le National Trust of Australia a reconnu que Burrup
réunit sans doute le plus grand ensemble de
pétroglyphes connu, mais cet endroit a été classé en
2005 parmi les sept sites patrimoniaux les plus
menacés du monde.
L'un des arguments utilisés par le sénateur
australien Gordon Campbell pour autoriser l'extension
du complexe pétrolier est que, si des pierres gravées
se trouvent bien dans le périmètre brigué par les
industriels, des pierres semblables se trouvent aussi
dans d'autres îles de l'archipel de Burrup. Ce phare
de l'humanité a dit textuellement: "the
values that such stones represent are found in a
number of sites on the Burrup and some islands in the
Archipelago".
C'est comme si l'on justifiait la destruction d'une
église romane de Charente en disant qu'il y en a
d'autres dans le Massif Central!
Les autorités ont promis que certaines gravures
seraient déplacées pour assurer leur sauvegarde. Mais
outre que des milliers de gravures ont déjà été
détruites dans le passé par la faute des mêmes
industriels, cela ne tient aucun compte du fait que
l'endroit est un site sacré pour les Aborigènes du
clan Yaburara. Cela ne tient pas compte non plus du
fait que l'art rupestre est inclus dans un
environnement unique et qu'il ne prend de sens que
par rapport à ce dernier, particulièrement en
Australie où cet art est associé à des mythes souvent
encore vivants, ces mythes étant généralement
indissociables du paysage. D'où la notion
intraduisible de "mythscape" élaborée par les
chercheurs australiens, jouant sur les mots "myth" et
"landscape". De plus, l'ensemble des sites est
couvert d'artefacts préhistoriques, de structures
lithiques et de restes d'anciens campements, dont
l'étude serait précieuse pour comprendre le passé des
anciennes populations du continent australien. Mais
là encore, le sénateur Campbell, dont les conseillers
ont décidément de la suite dans ce qui leur tient
lieu d'idées, estime qu'il existe d'autres sites du
même genre un peu partout en Australie, et qu'il n'y
a dont pas lieu de s'inquiéter de celui-ci.
Un de ces conseillers est l'archéologue Iain
Davidson, qui propose de déplacer les roches ornées
menacées. Or cela fut déjà été pratiqué précédemment
sous l'égide des mêmes pétroliers, et le résultat est
un piteux
empilement de
cailloux,
certains cassés et rayés dans l'opération, le tout
étant dépourvu de sens (voir l'aspect actuel des
lieux sur l'image ci-dessous).
Enfin, l'argument final du Sénateur stipule que "les bénéfices sociaux et économiques du développement (industriel) proposé sont plus importants que la préservation du seul site susceptible d'avoir une valeur patrimoniale nationale" (si vous ne me croyez pas, vous pouvez lire cette phrase d'anthologie dans la dernière page du rapport rédigé par le laborieux sénateur, et déposé ici).
Que ce rapport ait été signé par un "ministre de l'environnement et du patrimoine", incite à la réflexion.
On peut alors se souvenir de ce que la péninsule de Burrup fut captée par ses actuels maîtres suite au massacre systématique des Aborigènes qui l'habitaient.
La figure ci-dessous, gravée en 1889 par Carl Lumholtz, illustre la méthode utilisée en 1868 par les colons australiens pour se débarrasser des Yaburara : hommes, femmes et enfants ont été tirés comme des lapins par des officiers de police agissant sur ordre, et leur clan a été méthodiquement décimé.
Il y a un nom pour ce genre d'action: génocide.
Le gouvernement australien se serait honoré en
prolongeant, par une mesure de protection adéquate,
la sacralisation traditionnelle de ce lieu.
27-XII-2006