La préhistoire par les étoiles
La scène du puits de Lascaux suscite des interprétations astronomiques contradictoires.
Par quels moyens?
C'est très simple: l'homme mort représente l'an écoulé, et il figure donc le solstice d'hiver. L'oiseau sur le bâton représente la position des Pléïades à ce solstice, car cette image représente "exactement" celle que formaient ces étoiles dans la nuit du solstice d'hiver de l'année 9273. L'auteur, qui ne recule devant aucune audace, en conclut que la culture magdalénienne (à laquelle cette peinture est généralement rapportée) a dû se prolonger bien plus longtemps qu'on ne le pensait. . .
A la page 14 de son livre
"Stars Stones and Scholars",
Andis Kaulins donne un schéma (ci-dessus) grâce
auquel il décrypte la scène avec une aisance
confondante: le Bison est Pégase avec Cassiopée
sur sa tête, et l'homme mort est Persée, qui
marque le début la nouvelle année, tandis que sous
le ventre du bison se voit un "pis" qui n'est
autre que le Verseau, la fissure à gauche de la
scène en bas étant Orion, une particularité de la
roche devenant Sirius, etc. L'amusant est que,
bien qu'il dise reconnaître (sans la moindre
preuve) tous ces détails, l'auteur ne semble pas
avoir vu qu'à gauche de la scène se trouve un
rhinocéros, qu'il décompose en plusieurs éléments
non reliés entre eux, et qu'à leur tour il
interprète: les pattes arrière sont "deux figures"
qui, étant deux, ne peuvent donc qu'être les
Gémeaux (bon sang, mais c'est bien sûr !), la
queue et la croupe -- qu'il ne reconnaît pas non
plus comme telles -- lui semblent figurer
l'Aurige. Quant à la bosse et à la nuque de
l'animal, elles lui échappent totalement: il y
voit un harpon (!) lequel, par un tour de
passe-passe dont j'ignore le mécanisme, lui
apparaît comme une représentation du Lion. Tous
ces détails sont supposés conforter sa thèse,
selon un argument spécieux qu'on entend souvent de
la part des herméneutes de l'art rupestre, et
notamment les chamaniaques: si vous expliquez un
détail, cela ne prouve rien, mais si vous en
expliquez de nombreux, alors vous présentez la
"best fit hypothesis", c'est-à-dire celle
qui explique le plus grand nombre de faits. Le
seul hic, dans l'histoire, est qu'il vaut mieux
bien expliquer un seul détail, que mal toute une
quantité. Or ici, la multiplication des
explications finit par ruiner l'ensemble de la
tentative, puisque les derniers éléments cités
sont forcément faux : il y a là, réellement,
l'image d'un rhinocéros, et non pas
"deux figures", un "harpon", etc. Le plus amusant
est que sous la queue dudit bison se trouvent six
ponctuations qui, à la rigueur, auraient pu être
considérées comme des marques
stellaires… mais l'auteur les a oubliées dans
son schéma, que l'on comparera utilement à la
photo ci-dessous, empruntée à un article de
Régis Poulet.
Il y a au moins une personne que la lecture d'Andis
Kaulins ne pourra pas convaincre : le Dr. Michael
Rappenglueck, qui lui aussi pense que la scène du
puits est une carte du ciel, mais considère que les
yeux du bison, de l'homme et de l'oiseau représentent
les trois étoiles Vega, Deneb et Altaïr, qui
dessinent un gigantesque triangle dans le ciel. Ce
triangle, formé par les trois étoiles les plus
brillantes visibles dans le ciel nocturne étésien est
surnommé "Summer Triangle". Or vers 16500
BC, ce triangle ne descendait jamais sous l'horizon
et devait être particulièrement visible au début du
printemps. Conclusion: cette peinture date de cette
époque. Mais que deviennent les Pléïades, dans cette
autre théorie (qui a fait l'objet d'un résumé dans le
numéro 24 du Magazine of the Royal College of
Science Astronomical Society, p. 13)?
Elle sont bien visibles à Lascaux, dit le Dr.
Rappenglueck, mais au-dessus du grand taureau, ce
qui signifierait en plus que l'association à des
animaux de certaines constellations (comme,
justement, celle du Taureau) remonterait au
Paléolithique. Quant à l'oiseau sur son piquet, il
s'agit de l'étoile polaire sur l'axe du monde.
Devant un argument aussi puissant, on s'incline.
A moins que vous ne vouliez en découvrir davantage? Vous pourrez alors consulter le livre que le Dr Rappenglueck a tiré en 1999 de son doctorat (car tout ceci a fait l'objet d'une thèse!) : "Eine Himmelslkarte aus der Eiszeit? Ein Beitrag zur Urgeschichte der Himmelskunde und zur paläoastronomischen Methodik, aufgezeigt am Beispiel der Szene in Le Puits, Grotte de Lascaux, Frankfurt-am-Main / Berlin / Bern / Bruxelles / New York / Wien: Peter Lang, Europäischer Veralg der Wissenschaften, 531 p., 284 ill.
Le schéma ci-dessous en est extrait.