Lascaux-sur-Nil ?
(Vue du site de Qurta, extraite de l'article
d'Antiquity)
La revue Antiquity en ligne vient de publier un
article sur le site de Qurta, en Egypte
(en ligne ici : http://antiquity.ac.uk/ProjGall/huyge/index.html).
Il s'agit pas vraiment d'une découverte, mais plutôt
d'une redécouverte, puisque les gravures de cette
région avaient déjà été signalées par une équipe
canadienne au début des années 1960. Simplement,
cette fois, il semble qu'un relevé complet va être
effectué, et qu'ont été repérés des ensembles gravés
qui n'avaient pas été vus par l'équipe de canadienne
lors de son passage.
Parler d'un "Lascaux like style", comme le font les
auteurs de cet article, n'est pas sans poser
problème, d'autant que cela induit des rapprochements
lourds de conséquences. Il est dommage qu'avant de
livrer une telle affirmation, ce "style de Lascaux"
n'ait pas été défini. On ne sait donc pas quels
traits caractéristiques de cet hypothétique style se
retrouveraient à Qurta. Or il suffit d'examiner les
bovinés de Lascaux pour voir que, par exemple, leurs
encornures sont totalement différentes de celles de
Qurta (voir des exemples sur le site
http://www.culture.gouv.fr:80/culture/arcnat/lascaux/fr/).
Ensuite, d'autres détails diffèrent, et ce
rapprochement paraît d'autant plus risqué qu'il
s'opère entre des peintures d'une part et des
gravures de l'autre. Il aurait donc fallu, en bonne
méthode, isoler, dans ledit "style de Lascaux", les
éléments indépendants de toute technique picturale
qui se retrouveraient sur les gravures de
Qurta. En l'absence d'une telle démonstration, ce
rapprochement ne paraît donc pas à retenir. Sauf que,
bien sûr, une expression comme "Lascaux sur le Nil"
plaît beaucoup aux médias, notamment égyptiens (voir
par en particulier :http://weekly.ahram.org.eg/2007/849/he1.htm"
; http://egyptrockart.blogspot.com).
Mais l'obtention de ces modestes faveurs médiatiques
mériait-elle ce genre d'approximations?
Dans l'article, les critères de l'identification des
bovinés gravés à Qurta, et dont on nous dit qu'il
s'agirait d'aurochs (Bos primigenius) ne
sont pas donnés. Il en manque en tout cas un, sur ces
gravures, à savoir le trait qui, sur le dos, indique
la zone de teinte différente caractéristique de
l'espèce, et qui a été très généralement représentée
sur les gravures sahariennes (caractéristique qui fut
parfois prise pour un tapis de selle ou un caparaçon
par les auteurs anciens). A Qurta, je ne vois pas ce
qui pourrait objectivement permettre une telle
identification comme aurochs. Celle-ci résulte
évidemment de l'hypothèse selon laquelle ces gravures
seraient très anciennes : si elles sont
paléolithiques, ce que croient (mais ne démontrent
pas) les auteurs, alors ces bovinés ne peuvent être
que des aurochs. Mais à en juger d'après les seules
gravures, désolé: rien n'empêche qu'il s'agisse de
bovins domestiques (ou alors il faut expliquer quoi).
Dire que "None of the animals present shows any
evidence for domestication" est un argument
a silentio, donc non suffisant.
Du point de vue de l'attribution chronologique ,
l'affirmation selon laquelle l'art rupestre de Qurta
"reflects a true Palaeolithic mentality" est
pour moi complètement hermétique, car je ne sais pas
ce qu'est une "true Palaeolithic mentality"
et, dussé-je aggraver mon cas, je doute fort qu'une
telle chose ait jamais existé.
Ceci dit, il est vrai que ces gravures diffèrent de
tout ce qu'on connaît ailleurs dans l'art gravé
d'Egypte, mais se rapproche beaucoup de certaines
gravures du Sahara central et de Tripolitaine,
exécutées dans le style dit "Bubalin naturaliste".
Avant de se lancer dans des comparaisons avec
Lascaux, en affrontant le double handicap de la
distance et de la chronologie, il aurait été plus
prudent de regarder ailleurs au Sahara, où se
trouvent justement des œuvres semblables.
Il n'existe aucune raison objective de placer cet art
à 15000 BP. La présence de sites paléolithiques à
quelques centaines de mètres de distance ne prouve
absolument rien. Des restes du Paléolithique se
trouvent à proximité de centaines, voire de
milliers, de sites à peintures ou gravures
néolithiques ou paléolithiques, partout au Sahara. Et
à côté des parois ornées, on peut trouver aussi des
canettes de coca et mille autre choses de toutes les
époques, mais cela n'est d'aucune utilité pour dater
l'art. L'appel à la grande faune sauvage comme indice
d'un âge paléolithique n'a pas de valeur dans cette
région, où ladite faune a survécu très longuement
(elle est présente dans l'art prédynastique et encore
figurée sur les œuvres de l'Egypte dynastique). Du
reste, seul l'hippopotame est présent, ce qui n'est
pas très étonnant au bord du Nil; mais l'absence
d'éléphants, girafes, rhinocéros, etc. ne plaide pas
pour une grande ancienneté.
Même en admettant que ces images soient bien
paléolithiques, pourquoi les faire remonter juste à
15000 BP et pas, par exemple, à 13000, sachant
qu'elles n'ont pas encore été datées précisément?
Sinon, dirait-on, pour accentuer le rapprochement
avec Lascaux !
Il semble bien qu'une fois de plus, que pour obtenir
un écho médiatique (et donc, peut-être, des crédits
pour de futures missions) des chercheurs ont encore
voulu publier des résultats avant même d'avoir
terminé leur recherche, en arrivant même à nous
donner, cette fois, l'âge de gravures non datées !
Pourquoi ne pas avoir attendu le résultat des
datations directes qui sont en cours ?