La pipolisation de la science et son empreinte au Sahara: un coup des créationnistes ?
Comme
beaucoup d’autres lecteurs du
Saharien,
j’ai été très intéressé par un article du dernier
numéro de cette revue, signalant que la plus
ancienne trace d’activité humaine aurait été
découverte en Égypte, sous la forme d’une
empreinte de pas fossilisée à Siwa.
Voici l'article en question:
J'ai donc été intéressé, et quadruplement surpris.
Surpris, premièrement, car, selon le communiqué de l’agence
Reuters,
le fameux, le célèbre, l'inénarrable
Zahi Hawass affirme
que cette empreinte « pourrait »
dater de deux millions d’années, et qu’elle
« pourrait
être
la plus importante découverte »
jamais effectuée en Égypte… ce qui signifie tout
simplement que si ladite empreinte
« pourrait »
être de cet âge, elle pourrait tout aussi bien ne pas
l’être, puisqu’il s’agit d’une découverte non encore
datée.
Deuxièmement, et conséquemment, je ne suis pas peu
surpris de ce que Khaled Saad, directeur du
Département de Préhistoire du service des Antiquités
égyptiennes, nous dise, dans le même communiqué, que
ladite empreinte « pourrait »
dater non de deux, mais de trois millions d’années.
En fait, elle « pourrait»
effectivement avoir cet âge, tout comme elle
« pourrait »
avoir celui qu’avance tout aussi gratuitement Zahi
Hawass, et tout comme elle « pourrait »
en avoir le double, ou la moitié, ou dater du Moyen
Âge, ou du début de notre ère, ou de n’importe quelle
autre époque, puisque, de l’aveu même des signataires
de cette fracassante annonce, je le répète, elle
n’est pas encore datée.
Seulement voilà, si vous signalez à une agence de
presse que vous venez de découvrir une empreinte
humaine non datée, il y a peu de chance qu’on parle
de vous. Alors que si vous prenez soin d’ajouter
qu’elle « pourrait »
être la plus ancienne du monde (bien qu’en réalité
vous n’en savez fichtre rien) alors vous pouvez être
certain que votre annonce sera reprise par les autres
agences, par la plupart des journaux (par exemple Le
Monde, comme ce fut le cas ici), par une myriade de
blogs et de sites sur l’internet, et finalement,
par
Le Saharien.
Ainsi, vous aurez réussi votre coup: on parlera de
vous. Pour de mauvaises raisons, certes, mais que
voulez-vous, certains archéologues agissent comme si
cétait préférable.
Ma troisième surprise est fort grande, qui est de
lire dans le même communiqué de
Reuters que
Zahi Hawass aurait déclaré: « les
savants font des tests de carbone sur les plantes
trouvées dans la roche pour déterminer son
âge ».
Ceci, alors que la limite temporelle de la méthode de
datation au carbone 14 se compte en quelques dizaines
de milliers d’années, non pas en centaines et encore
moins en millions d’années, périodes pour lesquelles
les archéologues sont contraints d’utiliser de tout
autres méthodes. Alors soit Zahi Hawass a bien fait
cette déclaration et c’est l’un des archéologues les
plus incompétents que la terre ait jamais porté, soit
l’agence Reuters lui prête les déclarations les plus
farfelues (les moyens d’information dont je dispose
actuellement ne me permettent pas de choisir entre
ces deux possibilités, sans compter qu’il pourrait en
exister une troisième, qui serait un mixte des deux
précédentes).
Ma quatrième surprise n’est pas la moindre, car en
voyant l’image accompagnant l’annonce, j’ai sursauté,
en la reconnaissant parfaitement. En effet, c’est une
image que je connais très bien, et depuis longtemps.
En fait, je la connais depuis que je traque les
supercheries des créationnistes, qui ne sont pas à
une escroquerie prêt pour tenter de faire passer
leurs théories fumeuses auprès du public. En effet,
la photographie qui accompagne l’article du Saharien
est celle de la plus fameuse des « empreintes »
dites de Burdick (du nom de Clifford C. Burdick,
l’auteur qui les fait connaître) supposées avoir été
découvertes sur le site de Paluxy dans le
« Dinosaur
Park »
situé près de Glen Rose au Texas, et qui ont déjà
fait couler des flots d’encre aux Etats-Unis depuis
plus de vingt ans. En effet, certaines de ces
« empreintes »
sont connues depuis les années 1960, et le document
illustrant le communiqué de presse que cite Le
Saharien est utilisé depuis des années par des
auteurs peu scrupuleux, soit pour essayer de faire
croire que des géants semblables à ceux de la Bible
ont jadis arpenté les terrains du Jurassique en y
laissant les traces de leurs pas, soit que l’homme
serait contemporain des dinosaures. Depuis longtemps,
de bons géologues ont démontré qu’il s’agissait d’une
supercherie, avec assez d’arguments pour qu’il ne
soit pas nécessaire d’y insister (voir l'excellente mise au point de Glen
Kuban et Gregg Wilkerson).
Une
rapide recherche sur internet permet de retrouver
bien d'autres photos de la même
"empreinte"
L’important, ici, est que ces « empreintes »
(qui sont toutes des faux grossiers, comportant
plusieurs erreurs anatomiques) ne sont généralement
utilisées et divulguées que par les créationnistes
les plus naïfs (ou les plus retors). Je ne prétends
pas que Khaled Saad, et encore moins Zahi Hawass,
auquel rien de ce qui est médiatique n’est étranger,
défendraient des thèses créationnistes — ou du moins
je n’en sais rien.
Un autre
exemple…
L’explication
paraît plus simple: les permières annonces de la
découverte, quelle que soit la valeur de celle-ci,
sont apparues sur les sites de l’agence Reuters et de
la BBC, et elles n’étaient accompagnées que de deux
images: tantôt une photo des pyramides, connotant
l’Égypte pour tout lecteur, et tantôt une simple
carte de l’Égypte. Puis l’information fut reprise par
de nombreux médias égyptiens et internationaux, et le
responsable de l’un de ceux-ci a dû juger qu’il
serait mieux d’avoir une belle photo d’empreinte
humaine pour illustrer son texte. Une rapide
recherche sur l’internet lui a livré celle de
l’empreinte de Burdick, qui lui a semblé faire une
illustration très convenable. Et comme toujours,
hélas, depuis quelques années, les commentateurs,
journalistes et auteurs de blogs ou de sites
consacrés à l’archéologie se sont contentés de
recopier le tout sans tenter la moindre vérification,
et bien sûr sans rien connaître au sujet. Jusqu’à nos
amis du
Saharien qui,
finalement, se sont fait innocemment piéger.
Allez,
encore une petite pour la route !