Le mammouth de Cheddar: Much ado about scratches...
En fait, ce "mammouth" circulait déjà pas mal sur l'internet depuis quelques mois, puisque c'est désormais une habitude, chez certains archéologues (entre autres chercheurs) de rendre publiques leurs trouvailles (ou ce qu'ils espèrent être d'importantes découvertes) avant même de les avoir publiées dans des revues de références, et de les avoir ainsi soumises à l'expertise de leurs pairs. C'est ce qu'avait fait, par exemple, Dirk Huyge avec sa prétentieuse annonce d'un "Lascaux" sur le Nil, reprise sans réfléchir une seconde par un journaliste d'Archéologia. Je soupçonne là comme un désir de célébrité: vous lancez quelques e-mails vers des sites, agences de presse et journalistes en mal de scoop, et comme tout ce beau monde se recopie l'un l'autre sans rien vérifier, au bout d'un mois ou deux, tous parlent de vous. Si par hasard, par la suite, il s'avérait que votre découverte n'en était pas une, ou qu'elle avait déjà été signalée par un autre chercheur, ou qu'en réalité ce n'était pas du tout ce que vous aviez cru, eh bien ce n'est pas grave, il en restera toujours une aura médiatique autour de votre nom. Evidemment, sur le long terme, cette stratégie est stupide, mais que voulez-vous, on trouve même des archéologues pour ne penser qu'à court terme, maintenant!
Mais revenons à nos mammouths. Celui de la grotte de Cheddar avait été signalé dès le 15 août dernier dans un communiqué de presse de l'Université de Bristol. Ce communiqué avouait que la bête était "difficult to see", bien que son découvreur ait affirmé "This is a clear representation of an animal". Pourtant, sur la photo accompagnant cette annonce, on ne voit rien, strictement rien d'autre qu'une paroi sur laquelle ressort une mire IFRAO. L'information n'en a pas moins été reprise sur le site de la BBC, qui précise qu'il s'agirait d'une gravure du Paléolithique supérieur, sans dire pourquoi, et où l'on retrouve la même photo, en une définition un peu meilleure, mais sur laquelle on ne voit toujours pas la moindre bestiole. Ensuite, la nouvelle s'est répandue très vite, et elle a été mentionnée par un grand nombre de blogs archéologiques, provoquant parfois l'ironie des commentateurs quant aux capacités artistiques de l'auteur de la supposée gravure. Et comme il fallait s'y attendre, le chamanisme n'a pas tardé à être évoqué sur plusieurs sites (par exemple ici) : "It is believed the carving, in an isolated niche, may have been used by tribal shamans in religious rituals" ("on pense que la gravure, dans une niche isolée, aurait pu être utilisée par de chamanes tribaux dans le cadre de rituels religieux").
Enfin, pouvait-on espérer, la parution de l'article d'INORA, qui est une petite revue spécialisée dans l'art rupestre, allait permettre d'en avoir le cœur net. Or qu'y voit-on ? Rien de plus que ce qui est déjà lisible sur l'internet. Je dirais même: plutôt moins. En effet, ce bref article est illustré d'une carte de situation qui tient une demi-page, mais le lecteur curieux y chercherait en vain une photographie de la fameuse gravure. Curieux, non ? Vous découvrez une gravure de Mammouth en Angleterre, c'est une trouvaille extraordinaire, et vous n'en publiez pas une photo dès que l'occasion s'en présente ? Eh bien non. Ce qu'ont publié les auteurs, c'est ce dessin :
Il ne s'agit même pas d'un relevé, mais d'une sorte
de crobard de terrain, visiblement fait à main levée.
Mieux: les auteurs expliquent sans rire que tout,
dans cet ensemble, est naturel, de l'œil aux défenses
en passant par la trompe, la tête et le dos, mais que
les zones indiquées par les lettres A et B
correspondent à de "probables lignes gravées"! Et la
conclusion est un monument de xyloglossie
scientifique: "Les enregistrements photographiques et
laser semblent confirmer l'observation selon laquelle
ces lignes gravées sur les parois de l'alcôve
semblent être un dessin délibéré (...) il semble
s'agir d'un mammouth." Ainsi, l'étude scientifique
(?) semble confirmer que ce dessin
semble délibéré et qu'il semble
s'agir d'un mammouth. Vive la science!
A vous de juger par vous même, grâce à cette
photographie empruntée à l'un des nombreux sites qui
parlent de... la chose.
Si vous n'arrivez pas à
distinguer le mammouth parmi toutes les lignes et
reliefs naturels de la paroi, inutile d'aller
consulter votre oculiste. Relisez plutôt Léonard de
Vinci, qui écrivait dans ses Carnets:
"Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de
taches ou faits de pierres multicolores avec l’idée
d’imaginer quelque scène, tu y trouveras par analogie
des paysages au décor de montagnes, rivières,
rochers, arbres, plaines et collines de toutes
sortes. Tu pourrais y voir aussi des batailles et des
figures aux gestes vifs et d’étranges visages et
costumes et une infinité de choses."
Puis allez donc visiter les grottes de la vallée de
Cheddar. Sur les taches et reliefs de leurs parois,
vous ne verrez peut-être pas de paysages et encore
moins des scènes de batailles, mais peut-être des
gnomes, des dragons cracheurs de feu, et "une
infinité de choses", parmi lesquelles, pourquoi pas,
un mammouth.